Au Liban, les hôpitaux au bord du gouffre en pleine flambée du coronavirus

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Frag­ilisé par la dou­ble explo­sion du port de Bey­routh avec qua­tre hôpi­taux hors ser­vice et un per­son­nel soignant épuisé, le secteur hos­pi­tal­ier sat­uré se voit désor­mais con­fron­té à une flam­bée des cas de coro­n­avirus et un nou­veau con­fine­ment.

Dans les étages dévastés de l’hôpital Saint-Georges, en plein cœur d’Achrafieh, les ouvri­ers de main­te­nance s’affairent dans les couloirs, tan­dis que les infir­mières, dont cer­taines por­tent encore les stig­mates des explo­sions du port de Bey­routh, regroupent lits, cou­veuses, et tout le matériel encore en état de marche. Même si les cham­bres ont été net­toyées depuis le 4 août, leur état témoigne de la vio­lence de la défla­gra­tion. Les fenêtres se sont dés­in­té­grées, des portes, il ne reste que des bouts de bois éclatés sur le sol, même les encadrements se sont descel­lés, lais­sant entrevoir le béton. Ailleurs, des morceaux de faux-pla­fonds et des fils élec­triques pen­dent, dévoilant les con­duits de cli­ma­ti­sa­tion. Meur­tri, l’établissement a per­du 18 per­son­nes le 4 août, dont qua­tre infir­mières. « Tout l’hôpital est devenu dys­fonc­tion­nel dès la pre­mière minute qui a suivi les explo­sions », indique le Dr Eid Azar, directeur médi­cal de l’établissement. «300 patients étaient hos­pi­tal­isés avant les explo­sions, 1 800 employés tra­vail­laient, nous avons dû aus­si gér­er les blessés qui afflu­aient de partout, ils ne com­pre­naient pas que nous devions évac­uer », racon­te-t-il, la mine fatiguée. Dans l’urgence, l’hôpital dresse un espace sécurisé sur le park­ing. Au moment des explo­sions, 18 patients étaient intubés en soins inten­sifs, 18 autres hos­pi­tal­isés dans l’unité dédiée au Covid-19. « Ce n’est qu’à 20h30, deux heures trente après l’explosion que les pre­mières ambu­lances de la Croix-Rouge com­men­cent à évac­uer les patients vers d’autres hôpi­taux hors de Bey­routh, le dernier a été trans­féré dans la nuit, à 2h15 », souligne le Dr Azar. A l’hôpital Saint-Georges, les dégâts sont lourds, il fau­dra entre 35 et 40 mil­lions de dol­lars, avant que l’hôpital ne rede­vi­enne opéra­tionnel.

« Déter­minée à rester »

Le 4 août, trois autres hôpi­taux de la cap­i­tale ont aus­si été dévastés. Situé à Gem­mayzé, un autre quarti­er proche du port, l’hôpital récem­ment rénové des Sœurs du Rosaire affiche les mêmes destruc­tions. Des ascenseurs com­plète­ment dis­lo­qués par la défla­gra­tion, des ser­vices com­plète­ment dévastés. A l’étage de la mater­nité, Cyn­thia Nou­jaim, une jeune sage-femme, s’active à faire l’état des lieux, alors que de nom­breux jeunes volon­taires se présen­tent pour aider à déblay­er. Si elle se dit « déter­minée à rester » au Liban, ses yeux trahissent de la colère dou­blée de las­si­tude. Un nour­ris­son était né dans son ser­vice, une heure avant l’explosion. Les autres hôpi­taux de la cap­i­tale, moins ou pas endom­magés, ont dû gér­er l’afflux soudain de plus de 6 000 blessés dans l’affolement le plus com­plet. L’Hôtel-Dieu de France a dû ain­si pren­dre en charge 600 blessés et patients trans­férés dans d’autres hôpi­taux dans une panique apoc­a­lyp­tique. Le Dr Antoine Zogh­bi, patron des urgences et prési­dent de la Croix-Rouge libanaise racon­te : « Cette nuit-là a été très com­pliquée à cause du nom­bre de vic­times et de la grav­ité de leurs blessures. Les hôpi­taux sont sous pres­sion depuis des mois, le désas­tre du 4 août a été la goutte d’eau de trop, même si la pre­mière réac­tion de toute notre équipe a été, bien sûr, de soign­er ». Le médecin souligne « un ras-le-bol général­isé chez le per­son­nel soignant ». Un con­stat qu’il lie au défaut de « plan­i­fi­ca­tion san­i­taire » et à l’inefficacité d’un min­istère de la San­té « qui est le som­met de la cor­rup­tion ».

« Nous allons vers une ruine com­plète »

Depuis plusieurs mois, le secteur hos­pi­tal­ier subit de plein fou­et la crise économique qui plombe le pays. « Nous allons vers une ruine com­plète, entre les retards de paiements de l’Etat qui nous doit 2 400 mil­liards de Livre Libanais­es (1,6 mil­liard de dol­lars en taux offi­ciel), la déval­u­a­tion de la livre libanaise, le manque de liq­uid­ités… Le Covid-19 est venu ajouter un coût sup­plé­men­taire. Presque tous les hôpi­taux privés ont licen­cié, coupé les salaires, sup­primé des lits, stop­pé cer­tains actes et fer­mé cer­tains ser­vices, trop coû­teux », s’alarme Sleiman Haroun, à la tête du syn­di­cat des hôpi­taux privés. Il craint que le secteur, pour­tant réputé dans tout le Moyen-Ori­ent, ne se « dés­in­tè­gre », avançant même que sur les 127 hôpi­taux privés répar­tis sur le ter­ri­toire « 50% soient amenés à fer­mer ». En réac­tion, les infir­mières avaient d’ailleurs prévu une grève nationale le 5 août, annulée après la tragédie du port. « Elles étaient sur le ter­rain, en pre­mière ligne, même celles qui ont été licen­ciées ou dont les salaires sont amputés », lance Mir­na Doumit, prési­dente du syn­di­cat des infir­mières, qui par­le de soignants « épuisés physique­ment comme psy­chologique­ment ».
Dans ce con­texte, l’explosion des cas de Covid-19, qui a dépassé les 600 nou­velles con­t­a­m­i­na­tions jour­nal­ières au 20 août, fait crain­dre le pire. En début de semaine, le min­istre de la San­té, Hamad Has­san a annon­cé que les unités de soins inten­sifs dédiées aux patients atteints de Covid-19 étaient sat­urées. Un nou­veau con­fine­ment de 15 jours a été décrété jusqu’au 7 sep­tem­bre, dans l’espoir de ralen­tir la pro­gres­sion du coro­n­avirus.

Texte, pho­tos et vidéo : Jen­ny Lafond

Pho­to de Une : L’en­trée des Urgences de l’hôpi­tal des Soeurs du Rosaire dans le quarti­er Gem­mayzé.
Vidéo : L’hôpi­tal des Soeurs du Rosaire est en par­tie détru­it.

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