La Tunisie s’apprête à ouvrir ses frontières, le 27 juin. Le tourisme, qui représente 14% du PIB tunisien, a été l’un des secteurs les plus touchés par la crise. L’équipe de l’hôtel La Badira se prépare à la réouverture.
La piscine est vide, les fauteuils du hall d’entrée sont recouverts de plastiques, une odeur de peinture fraîche se fait sentir et les employés sont rassemblés dans un des restaurants pour une formation : l’hôtel La Badira donne l’impression qu’il va ouvrir pour la toute première fois. L’établissement 5 étoiles prépare en réalité sa reprise après le confinement lié au coronavirus. Une trentaine de clients étaient attendus pour l’ouverture des portes le 11 juin. Avant leur arrivée, l’équipe de l’hôtel met en place toutes les mesures exigées par le protocole sanitaire décidé par le gouvernement tunisien : ouverture à 50% de la capacité, prise de température pour chaque entrée dans l’établissement, installation de distributeurs de gel hydro-alcolique et de plexiglas sur les comptoirs, désinfection de chaque objet utilisé par un client… Ce 4 juin, le personnel de la restauration est justement réuni. Au programme : faire le point sur les gestes barrières. Cyrine Messaoud, responsable management qualité et sécurité, explique que le client ne pourra désormais plus se servir seul au buffet. Un employé, derrière un plexiglas, remplira l’assiette. Une question émerge : « Que fait-on des couverts ? Seront-ils toujours placés sur la table avant l’arrivée des clients ? » « Impossible » répond Cyrine Messaoud qui a travaillé des semaines pour adapter le protocole sanitaire au fonctionnement de cet hôtel de luxe réservé aux adultes. La jeune femme n’avait pas pensé à ce point. S’en suit une discussion entre les employés sur les solutions. L’idée d’un plateau de couverts, préparé à l’avance mais laissé dans un endroit désinfecté jusqu’à l’arrivée du client, émerge. La direction tranchera.
Une semaine de congés
Si les salariés s’impliquent, c’est parce que leurs revenus, comme ceux d’environ 400 000 personnes en Tunisie, dépend de la reprise du secteur touristique. Ainsi, Ahmed se réjouit : « Je suis venu avec plaisir ce matin pour la formation. J’espère vraiment que les clients viendront et qu’on reprendra une activité normale rapidement. » Pendant le confinement général (du 22 mars au 4 mai), le chef de rang a touché 65% de son salaire.
« Nous avons fait le maximum pour préserver les salaires, explique Mouna Ben Halima, propriétaire de l’hôtel. J’étais inquiète au début, car nous ne savions pas combien de temps il faudrait tenir. J’ai donc refusé de payer mes fournisseurs, notamment l’électricité, afin de garder de l’argent pour les salaires. Nous avons débloqué la prime de rendement en avril (équivalent à un 13ème mois payé normalement en juin, ndlr). En mai, nous avons fait prendre une semaine de congé, puis nous avons essayé de faire travailler le plus de monde possible. » Alors qu’en temps normal, Mouna Ben Halima aurait utilisé les services d’une entreprise privée, ce sont les employés de l’hôtel qui ont repeint l’établissement lorsque le déconfinement progressif a débuté le 4 mai.
Khaled, chef de bar, s’est quant à lui porté volontaire pour travailler dans l’équipe de sécurité : « Nous avons surveillé l’hôtel pour éviter les vols ou les dégradations. Il était important pour moi que l’établissement reste en état pour que je puisse continuer de travailler ensuite. Cela comptait plus que l’argent », affirme le père de famille qui a touché un salaire complet grâce à son dévouement. Mouna Ben Halima met en avant cet esprit d’équipe : « Beaucoup d’employés nous ont proposé, bénévolement, de ne venir, ne serait-ce qu’une heure de temps en temps, pour vérifier qu’il n’y avait pas de fuite d’eau, que tout allait bien. Je me suis rendue compte qu’ils étaient vraiment attachés à l’établissement. »
Centre de quarantaine
Un attachement à « leur » hôtel, qui est également une source de fierté. Car La Badira a ouvert ses portes le 20 avril et accueilli les passagers d’un vol venu d’Allemagne. Pour éviter la pandémie, les autorités tunisiennes ont en effet mis en place un système de confinement obligatoire de 14 jours dans des centres dédiés pour tous les Tunisiens ou résidents en Tunisie rapatriés. Plusieurs hôteliers, comme Mouna Ben Halima, se sont portés volontaires pour accueillir ces personnes. « Nous avons été fiers de participer à l’effort de la patrie », explique la PDG qui évoque « une belle expérience mais extrêmement fatiguante. » L’hôtelière regrette que l’Etat n’ait pas été très présent. Avec les quelques employés qui travaillaient à La Badira, elle a dû combler ce manque pour rendre le séjour des confinés plus agréable : « l’Etat n’avait pas pensé que certains auraient besoin de médicaments, de changer leur argent, de manger le midi s’ils ne faisaient pas Ramadan… Avec ma fille, nous avons été jusqu’à préparer un gâteau d’anniversaire pour une petite qui fêtait ses 3 ans en confinement. » En ce mois de juin, la crainte d’une pandémie désastreuse pour la Tunisie dont les infrastructures hospitalières sont médiocres, semble écartée.
La jeune démocratie n’avait recensé, le 16 juin, que 1100 malades et 49 décès. Mouna Ben Halima se sent pourtant partagée alors que les frontières doivent rouvrir le 27 juin : « En tant qu’acteur du tourisme, je me dis « ouf ». Nous allons faire travailler des dizaines de milliers de personnes. Nous savons très bien que l’année 2020 ne sera pas positive, notre objectif c’est d’avoir des pertes un peu moins colossales que prévu. D’un autre côté, en tant que citoyenne tunisienne, je comprends la peur liée à l’ouverture des frontières. Il aurait été rassurant que le gouvernement annonce clairement les règles avant la réouverture. » Les mesures ont finalement été publiées le 12 juin: présentation d’un test de la covid à l’arrivée sur le territoire et fin de la quarantaine pour les touristes.
Texte et photo : Maryline Dumas.
Photo : Le 4 juin, Mouna Ben Halima, PDG de La Badira, suit les préparatifs pour la réouverture de son hôtel.
La rédaction de 15–38 est mobilisée pour documenter les impacts de la pandémie de Covid-19 dans toute la région Méditerranée. Nous nous intéresserons aux conséquences à moyen et à long termes. Dans ce cadre, notre correspondante Maryline Dumas suivra l’évolution de la saison touristique à La Badira au cours de l’été.