Ces six derniers mois, le récit de la guerre en Libye s’est transformé. Le maréchal Khalifa Haftar, épaulé par la Russie, qui menaçait de prendre la capitale Tripoli, a dû reculer sous la pression militaire de l’armée du Gouvernement d’Union nationale. Ce gouvernement reconnu par l’ONU, est soutenu, officiellement depuis début janvier 2020, par un nouvel acteur : la Turquie. Ankara s’ajoute à la liste des pays Méditerranéens impliqués, d’une manière ou d’une autre, dans la situation libyenne.
Passé quasi-inaperçu dans le contexte international de la pandémie de Covid-19, ce bouleversement des alliances a de nombreuses conséquences pour la région. Au cours du premier semestre 2020, la guerre a provoqué une polémique au Parlement tunisien, la mobilisation de la diplomatie algérienne et l’annonce que l’armée égyptienne serait prête à intervenir, en cas de “défaite du maréchal Haftar”.
Lorsque début janvier 2020, Recep Tayyip Erdogan engage ses troupes, il tente un coup politique interne, mais il signe, en parallèle, un accord sur la frontière des eaux territoriales entre son pays et la Libye. Si cet accord déclenche des réactions virulentes de pays du pourtour Méditerranéen, c’est parce qu’il peut menacer le gros projet gazier du moment : EastMed.
Ce gazoduc de près de 2000 kilomètres permettrait de transporter le gaz des champs israéliens jusqu’au sud de l’Italie, en passant par la Grèce et Chypre. Et dans la région, tout le monde a son mot à dire. L’Égypte, nouveau producteur de gaz liquéfié (GNL) qui tente de devenir un réel interlocuteur pour les Européens. Les Israéliens qui veulent à tout prix être complètement indépendants énergétiquement. Les Turcs qui espèrent des débouchés pour leur projet de gazoduc. L’Union européenne, largement dépendante du gaz algérien et russe, qui a déjà dépensé plus de 35 millions d’euros pour ce projet au budget de près de 6 milliards d’euros.
Mais les États ne sont pas les seuls impliqués. La Méditerranée est un bassin d’emploi pour des multinationales énergétiques, comme la française Total, l’italienne Eni ou les américaines Noble Energy, Chevron et Exxon. Ces mêmes entreprises qui engagent des fonds considérables, sans savoir ce qu’elles trouveront sous la mer, conscientes que les marchés qui peuvent s’ouvrir sont colossaux.
Dans ce contexte, la voix de certains courants politiques et d’ONG qui se battent pour des modèles de production énergétiques renouvelables, semble peu audibles. La bataille du gaz est multiple : géopolitique, financière, environnementale. Les équipes de 15–38 Méditerranée se sont mobilisées dans toute la région pour en décrypter les enjeux.