A 7 kilomètres du centre-ville, dans le 14ème arrondissement, une route étroite m’emmène jusqu’à la bastide des Gorguettes. C’est sur ce domaine, au pied des collines qui bordent le Massif de l’Étoile, que Pablo, Maxime, Arthur et Augustin ont redonné vie à ce domaine du quartier de Sainte Marthe. Autrefois, les grandes familles marseillaises faisaient des bastides leur lieu de villégiature, et confiaient à un métayer le soin de cultiver la terre. Aujourd’hui, ce domaine de 7000 hectares a retrouvé une activité agricole : bienvenue à Terre de Mars, où les quatre paysagistes produisent des légumes biologiques « Made in Marseille ». Entretien avec Augustin qui a grandi ici et s’est longtemps posé la question du devenir de ce patrimoine familial.
Quel est ton parcours ?
Avec Maxime et Arthur, on a fait l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, à l’antenne de Marseille. On est architectes paysagistes et Pablo est urbaniste. Juste après le diplôme, en 2015, on a lancé Terre de Mars. On est tous aménageurs du territoire de formation donc on avait le bagage nécessaire pour parler du terroir, du grand territoire, de la cause agricole. On avait déjà des connaissances de base en biologie végétale, en sols et en projets de paysage. Terre de Mars a été une association pendant 3 ans. La première année a vraiment été expérimentale et une fois qu’on a réussi à fédérer tous les copains qui voulaient y participer, on a créé l’entreprise parce qu’on voulait vivre de notre activité.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de faire de l’agriculture ?
Changer le monde ! Changer le modèle agricole, avoir une agriculture de qualité, de proximité, avec un très faible impact carbone. On n’utilise pas de bâches en plastique jetable mais des bâches de culture qui ont une durée de vie de 9 ans. On n’utilise pas de tracteurs donc pas de pétrole. On avait l’opportunité d’avoir ce terrain qui appartient à ma famille. Pour moi c’est un projet de vie depuis toujours de créer une activité ici. On s’est rendu compte qu’on a beaucoup plus d’impact en étant dans le « faire » qu’en tant que paysagistes, dans un bureau d’étude à dessiner des projets agricoles.
Quelle est ta vision de l’agriculture urbaine ?
Pour moi, l’agriculture urbaine a pour but d’être une vitrine de l’agriculture de qualité – pas celle de l’agriculture extensive – une vitrine sur ce qui se passe à l’extérieur des villes. Elle permet aux citadins de se rendre compte, grâce à des petits projets en ville, de la réalité de l’agriculture. On reconnecte les urbains avec la campagne.
« Notre but, c’est de produire des légumes, nourrir. Mais sur un hectare, on nourrit à peu près 150 foyers par semaine… Et il y a plus de 860 000 habitants à Marseille.
Prenons l’exemple de Paris qui n’a pas de terres agricoles : à Paris, il n’y a que des toits disponibles… On ne nourrira jamais la population de Paris avec des toits cultivés, c’est impossible. »
Penses-tu que l’agriculture urbaine peut jouer un rôle dans la sécurité alimentaire pour les années à venir ?
Non. Pour moi, l’agriculture urbaine a un but de valoriser les agricultures productives qui elles sont à l’orée des villes ou après les villes. Notre but, c’est de produire des légumes, nourrir. Mais sur un hectare, on nourrit à peu près 150 foyers par semaine… Et il y a plus de 860 000 habitants à Marseille. Prenons l’exemple de Paris qui n’a pas de terres agricoles : à Paris, il n’y a que des toits disponibles… On ne nourrira jamais la population de Paris avec des toits cultivés, c’est impossible. L’agriculture urbaine n’existe pas encore véritablement pour le gouvernement, pour la MSA (Mutualité sociale agricole, ndlr). Les institutions ne savent pas trop dans quelle case mettre les fermes pédagogiques en ville, par exemple, qui ont de faibles revenus issus de la production de légumes. A Terre de Mars, on rentre dans le régime agricole.
« A Marseille, il reste 230 hectares de terres potentiellement cultivables.
Il y a un énorme potentiel. »
Quels sont les potentiels pour l’agriculture urbaine à Marseille ?
A Marseille, il reste 230 hectares de terres potentiellement cultivables. Il y a un énorme potentiel. Le problème, c’est que le foncier coûte beaucoup trop cher, donc il faut sanctuariser des zones en les déclassant de la case « à urbaniser » et/ou « urbaine » en les passant en « zones agricoles ». De cette manière là, le foncier ne vaut plus rien, donc tu peux installer des agriculteurs. Sauf que ça nuit à l’économie générale puisque c’est malheureusement beaucoup plus intéressant de construire des bâtiments et de générer des millions que d’avoir un agriculteur qui va générer 100 000 euros de chiffre d’affaire par an. Ce qui est encourageant aujourd’hui, c’est que certains politiques changent leur fusil d’épaule en déclassant certaines zones à Marseille. La Ville de Marseille, la SOLEAM (propriétaire foncier et maîtrise d’ouvrage de la Ville de Marseille, ndlr) et la Métropole Aix-Marseille-Provence, en appui avec notamment le projet Terre de Mars comme un des référents d’une agriculture locale. Plus qu’une mode, c’est une mouvance qui relève d’un besoin. On constate qu’en quatre ans, notre clientèle est de plus en plus nombreuse. C’est local, c’est bon, c’est sain, on essaye de véhiculer une agriculture responsable.
Quels sont les freins à l’agriculture urbaine à Marseille ?
Le foncier ! Et le climat, qui sera un problème dans plusieurs dizaines d’années. On essaye d’anticiper et on s’adapte. L’agroforesterie consiste à associer des arbres et des cultures ou de l’élevage. On a planté des fruitiers dans les jardins : ils apporteront de l’ombre aux légumes, mais aussi de l’humus lorsqu’ils perdront leurs feuilles. Quant aux poules, elle passent la journée sous les oliviers, où elles se sentent protégées. En picorant le sol, elles débarrassent les oliviers de leurs ravageurs.