Il y a un an, trois jeunes Alexandrins créaient « Banlastic », qui vise à lutter contre le fléau de la pollution plastique en Égypte. Ils multiplient aujourd’hui les actions de sensibilisation et, petit à petit, font évoluer les mentalités… Même au sein du ministère de l’Environnement égyptien. Portrait de cette jeunesse qui s’engage en Méditerranée, et d’un des partenaires de l’Atelier des Jeunes Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée (AJCM) en Égypte.
« Ma famille ? Ils n’avaient aucune idée de la nocivité du plastique. J’ai dû faire beaucoup d’efforts pour les convaincre ! », rigole Abdelkader El Khaligi, 22 ans, l’un des membres fondateurs de Banlastic. Aujourd’hui, son père est devenu un ambassadeur de la cause : « pour aller acheter des épices ou des céréales au marché, il prend ses petites boîtes réutilisables. Au début cela l’énervait, il avait l’impression que ce n’était pas pratique, mais maintenant il le fait naturellement, sans que j’ai besoin de le lui rappeler ! », raconte fièrement l’étudiant en faculté de commerce. De son côté, c’est seulement en 2017 qu’il a entendu parler pour la première fois de la menace que représentait le plastique pour l’environnement. « J’ai alors décidé, pour mon projet de fin d’année, de faire une étude de marché sur l’interdiction des sacs plastique dans les supermarchés. » Puis il a rencontré Manar et Ahmed via Facebook, où Manar avait lancé un sondage en ligne sur l’utilisation du plastique.
Après quelques réunions, les trois comparses s’accordent sur le fait qu’il est urgent d’agir pour limiter les dégâts du plastique en Égypte. « J’ai fait mon master en développement durable à New Delhi, et j’ai été impressionnée par le mouvement d’interdiction du plastique en Inde », raconte Manar Ramadan, 29 ans. « Je me suis dit : l’Inde est un pays en développement comme l’Égypte, avec les mêmes problèmes de bureaucratie et de corruption, et la même difficulté à faire changer la culture vis-à-vis de l’environnement, et ils y arrivent… alors pourquoi pas nous ? » En rentrant dans son pays, la jeune ingénieure se rend compte qu’il n’y existe aucune initiative spécifique pour réduire l’usage du plastique. « Jusqu’à aujourd’hui, on ne parle pas de ce problème dans les écoles publiques égyptiennes… Et dans les écoles internationales privées, il y a peut-être une séance par an. C’est loin d’être suffisant ! »
Parce qu’ils savent – et répètent à l’envi – que d’ici 2050, « 99 % des poissons auront du plastique dans leur estomac », Manar, Abdelkader et Ahmed n’attendent pas de recevoir des subventions pour agir. Dès que Banlastic, entreprise de l’économie sociale et solidaire, est créée en mai 2018, ils mènent des ateliers de sensibilisation sur les ravages du plastique, destinés en priorité aux jeunes de 18 à 35 ans, dans leur ville, Alexandrie. « Les participants sont souvent choqués de découvrir les dégâts que provoque le plastique, pour les poissons comme pour les humains », souligne Abdelkader. Même si certains y sont déjà confrontés dans leur quotidien : « Parmi les participants à un workshop, il y avait un éleveur de moutons, et il m’a dit qu’il était de plus en plus fréquent que des animaux jeunes meurent précocement, et, lorsqu’on les dépèce, leur ventre est rempli de sacs plastiques », se souvient Manar. Progressivement, des jeunes d’Alexandrie s’agrègent à l’équipe de Banlastic, qui compte désormais une vingtaine de bénévoles. Une fois formés, ils animent à leur tour des ateliers, ou organisent les « opérations nettoyage » des plages qui s’enchaînent depuis un an, souvent avec des écoliers.
« Nous avons obtenu un financement du Goethe-Institut pour étendre nos actions à Rashid (Rosette), Port-Saïd, Qoseir (sur la mer Rouge) et la côte nord, entre Alexandrie et Marsa Matruh », explique Ahmed Yassin, 30 ans, ingénieur spécialisé dans la fabrication de panneaux solaires et troisième « pilier » de l’aventure Banlastic. Totalement investi dans sa nouvelle mission, il promeut une approche pragmatique du problème : « si l’on veut que les gens abandonnent le plastique, il faut leur proposer des alternatives : c’est ce que nous faisons en vendant des sacs « écologiques » en tissu. » Pour le moment, les intervenants de Banlastic donnent ces sacs à celles et ceux qui participent à leurs workshops, mais ils sont à terme destinés à être vendus, comme d’autres objets écologiques sur lesquels la jeune entreprise entend bâtir son modèle économique. « Grâce à cette activité et aux financements que nous recevons pour nos ateliers, nous espérons avoir bientôt un local et dégager trois salaires », explique Ahmed.
Si les actions de Banlastic se concentrent avant tout sur la prise de conscience au sein de la population (l’une de leurs batailles est d’ailleurs la diffusion de contenus en arabe sur la pollution plastique sur internet), ses trois fondateurs n’hésitent pas non plus à solliciter les institutions étatiques. « Nous avons rencontré des représentants du ministère de l’Environnement en janvier. Le problème c’est qu’ils ne parlaient que de recyclage, alors que nous pensons qu’il faut interdire, ou du moins limiter fortement l’usage du plastique », relate Manar. Ses deux acolytes et elle poussent d’ailleurs à la création d’un réseau de « supermarchés verts » qui ne donneraient plus de sacs plastiques à leurs clients, et espèrent convaincre les autorités d’appuyer l’initiative par des incitations financières… « Il est vrai que nos actions touchent surtout les classes moyennes, mais en même temps, en Égypte, les personnes les plus pauvres ne sont pas les principaux utilisateurs de plastique. Par exemple, sur le marché où je fais mes courses, il y a une vieille femme qui vend des concombres : elle ne donne pas de sacs plastiques à ses clients parce qu’elle n’a pas de quoi les acheter », explique Ahmed.
L’association travaille également avec les pêcheurs d’Alexandrie pour qu’ils remplacent leurs filets en plastique par des filets en coton. « Lorsque je leur ai expliqué que des microparticules de plastique finissaient dans le ventre des poissons qu’ils vendaient et mangeaient, ils étaient tout à fait prêts à changer leurs filets ! », assure Ahmed. Mais sans une aide du gouvernement, cette conversion sera difficile… « Nous partons de très loin, mais lorsqu’on voit que le gouvernorat de la mer Rouge a décidé d’interdire les sacs plastiques à partir de juin, cela donne de l’espoir ! » se réjouit Manar. L’équipe de Banlastic va d’ailleurs tout faire pour que le gouvernorat d’Alexandrie suive cet exemple.