Pour répondre au mal logement, l’autorecupero en Italie

1037 0
1037 0

Yann Mau­ry est tit­u­laire de la chaire inter­na­tionale CHAIRECOOP, « Habi­tat coopératif & Coopéra­tion sociale » à l’ENTPE de Lyon. Il s’intéresse au phénomène de l’autore­cu­pero depuis 2004 et présente en févri­er un nou­veau film sur le sujet, après trois ans de tra­vail et de suivi à Rome. Les pro­jets d’auto-récupération rési­den­tielle sont encore peu nom­breux, pour­tant ce mod­èle pour­rait per­me­t­tre de répon­dre en par­tie au prob­lème du mal loge­ment.

Entretien

Qu’est-ce que l’autorecupero ?
En Ital­ie, l’auto-récupération rési­den­tielle est née à Rome face à la spécu­la­tion immo­bil­ière. Des mil­liers de familles ne pou­vaient pas tou­jours pay­er leur loy­er. Le principe de ce mod­èle repose sur l’idée de récupér­er l’usage de bâti­ments publics, de les rénover et de rel­oger les foy­ers en dif­fi­culté. A rebours de la loi du prof­it et des enjeux financiers des pro­mo­teurs immo­biliers, ces bâti­ments restent de pro­priété publique mais l’usufruit est con­fié à des coopéra­tives qui jouis­sent du bien. Le partage des rôles est le suiv­ant : l’entretien des par­ties com­munes et des façades reste à la charge du pro­prié­taire, la coopéra­tive rénove l’intérieur de l’immeuble et attribue les loge­ments. Elle con­stitue une banque du temps grâce aux com­pé­tences et aux savoir-faire des habi­tants eux-mêmes qui par­ticipent à la réno­va­tion.

Les pro­prié­taires de bâti­ments publics font appel aux entre­pris­es de leur choix, pour sat­is­faire à leurs oblig­a­tions de réno­va­tion rési­den­tielle des par­ties com­munes. Les chantiers coopérat­ifs se déroulent avec des bénév­oles mais aus­si des entre­pris­es et arti­sans pour les aspects plus tech­niques des travaux. Tout cela se fait dans le cadre d’une con­ven­tion avec la région du Lazio qui s’est saisie de ces opéra­tions pour affirmer le principe du droit au loge­ment après la loi de 1998 qui trans­fère la com­pé­tence du loge­ment aux régions.

La fais­abil­ité de ce mod­èle dépend large­ment de l’état d’esprit des munic­i­pal­ités en place. Aujourd’hui, la munic­i­pal­ité 5 étoiles (Cinque Stelle) qui gou­verne Rome est cat­a­strophique, selon le chercheur Yann Mau­ry : « Mal­gré cela, les coopéra­tives pour­suiv­ent leur objec­tif en faisant preuve de créa­tiv­ité et en trou­vant des solu­tions effi­caces pour loger des étu­di­ants, des familles de classe moyenne expul­sées ou des migrants, même si l’autorité locale observe la sit­u­a­tion avec dés­in­vol­ture et dédain ».

Les véri­fi­ca­tions effec­tuées par les tech­ni­ciens de la com­mune de Rome mon­trent d’ailleurs que les travaux effec­tués par les coopéra­tives sont de qual­ité et coû­tent moins cher que des travaux de réha­bil­i­ta­tion de loge­ments soci­aux, par exem­ple. Le coût des réno­va­tions est sou­vent de 30 à 50 % moins cher que les prix du marché et les loy­ers sont dans cer­tains cas, comme celui de la coopéra­tive Vivere 2000 à Rome, trois fois inférieurs à ceux qui ont cours dans le quarti­er.

Quel est le con­texte du mal loge­ment à Rome ?
Dans la cap­i­tale ital­i­enne, face à l’augmentation des loy­ers, les pop­u­la­tions les plus pré­caires sont reléguées tou­jours plus loin du cen­tre-ville, dans des espaces qui ne béné­fi­cient pas des ser­vices publics de base (écoles, trans­ports, etc.). Une vaste par­tie du pat­ri­moine pub­lic romain reste vacant et se dégrade, alors même que des mil­liers de Romains logent dans des habi­tats pré­caires. Ces bâti­ments sont sou­vent soumis à la spécu­la­tion pour devenir des cen­tres com­mer­ci­aux, ou autre. Par­al­lèle­ment, chaque année, des mil­liers d’expulsions sont égale­ment ordon­nées pour impayés de loy­ers (8 000 sen­tences d’expulsions en 2011 dont 80 % pour dettes de loy­er) alors qu’on compte en 2011, 50 000 à 60 000 loge­ments vacants.

Com­ment l’autorecupero a‑t-il pu voir le jour à Rome ?
Des mil­i­tants de l’Unione Inquili­ni (Union de défense des locataires) sont à l’initiative de la mobil­i­sa­tion en 1998, lors des élec­tions régionales. M. Berlus­coni trans­fert à cette époque la com­pé­tence du loge­ment aux régions. Ces mil­i­tants déci­dent alors de faire de l’entrisme poli­tique et se font élire. Une fois élus, ils font vot­er une loi sur l’autorecupero.

« Leur intel­li­gence a été de ne pas remet­tre en cause le droit de pro­priété sur ces bâti­ments, qui restent publics », explique Yann Mau­ry, « Ils ciblent des bâti­ments vides. La pre­mière phase passe par une péri­ode d’occupation afin de prou­ver que le retour au main­stream est pos­si­ble. » En 2008, la munic­i­pal­ité passe à droite pour la pre­mière fois depuis 1946, les cadres en charge du tra­vail avec les coopéra­tives s’en vont. L’environnement poli­tique n’est plus vrai­ment favor­able, mais les coopéra­tives con­tin­u­ent d’exister. La prin­ci­pale dif­fi­culté aujourd’hui est de prou­ver qu’on peut pass­er de quelques 200 loge­ments à Rome à une véri­ta­ble poli­tique publique. Cela passe par une évo­lu­tion des rap­ports de force, face à la munic­i­pal­ité et aux lob­bys.

Serait-il envis­age­able de s’inspirer de ce mod­èle en France ?
« En France, il ne se passe rien, la régie HLM garde le mono­pole », témoigne le chercheur. « A Lyon, le mou­ve­ment asso­ci­atif s’y intéresse avec notam­ment une ten­ta­tive dans le quarti­er de la Guil­lotière, rue Riche­lieu, dans l’immeuble d’un ancien café. Mais la mairie s’opposait rad­i­cale­ment à cette solu­tion et a préféré démolir l’immeuble. En France, les asso­ci­a­tions ne sont pas encore totale­ment récep­tives à ce principe. Elles basent sou­vent leurs actions sur le squat. La con­fronta­tion n’est pas for­cé­ment la solu­tion. »

Filmographie

Film déjà en ligne
https://www.youtube.com/watch?v=SSU5aWQeDp0
Sor­tie en févri­er 2019
« Le pré­da­teur et l’artisan. Il était une fois à Rome… » (93mn. Déc.2018. YM) Teas­er et VOD sur Les Mutins de Pangée.

Cet article, comme tous les articles publiés dans les dossiers de 15–38, est issu du travail de journalistes de terrain que nous rémunérons.

15–38 est un média indépen­dant. Pour financer le tra­vail de la rédac­tion nous avons besoin du sou­tien de nos lecteurs ! Pour cela vous pou­vez devenir adhérent ou don­ner selon vos moyens. Mer­ci !

In this article