Les révoltes ont l’air loin. Tant de bouleversements politiques ont suivi les manifestations de 2011. Pourtant, en Syrie, en Égypte, en Tunisie et en Algérie, les nouveaux médias sont là et témoignent, de fait, des changements dans les sociétés.
Impensable il y a 10 ans, c’est une chaîne de télévision privée, Ennahar, qui donne le ton des débats en Algérie, et qui peut faire une couverture continue d’une épidémie que les médias d’Etat refusent d’évoquer pendant plusieurs jours, avec des méthodes journalistiques contestées, alors même que les considérations de déontologie ne sont prioritaires pour aucun média du pays. L’ouverture de l’audiovisuel aux acteurs privés en Algérie, comme la libération de la parole en Tunisie, n’ont pas mis fin aux difficultés. Elles ont créé de nouveaux défis.
En Syrie, au-delà des questions sécuritaires et de la pression des acteurs du conflit, ces nouveaux médias tentent de réfléchir à mieux cibler leur lectorat. Enab Baladi aimerait obtenir des financements du milieu d’affaire syrien installé en Turquie et construit désormais des web-séries pour sa chaîne Youtube. Face à la perte de confiance, à la défiance, les projets Disclose NGO (France), Labneh and facts (Liban), ou Inkyfada (Tunisie) essaient de réinventer des modèles économiques pour pouvoir continuer d’enquêter et donner la parole à ceux qui ne se sentent pas représentés. Que ce soit via des coopératives, des associations, des entreprises, des ONG ou des collectifs informels, au sein du bloc “des journalistes” que certains croient uniforme, une multitude d’individus présentent des modèles qui tentent de faire de l’information différemment, bien conscients des limites, des faiblesses et des erreurs.
Les autoritarismes n’ont pourtant pas disparu, même s’ils peuvent être le fait d’autres acteurs. En Égypte, alors que les mesures de rétorsions se succèdent, les patrons de presse s’interrogent sur le comportement à adopter. « Essayer d’appliquer la loi, c’est aussi, pour nous, une forme de résistance », explique Lina Attalah de Mada Masr. En France, le mensuel satirique marseillais Le Ravi est poursuivi en justice après la publication d’une enquête sur les montages financiers autour d’une institution gérée par le Conseil départemental du Var, qui lui réclame 32 500 euros d’amende.
Autour de la Méditerranée, une question nous rassemble cependant : à quoi servons-nous réellement dans nos sociétés, quelle est notre fonction et pour quel objectif ? Réflexion poursuivie à Tunis, où se déroulaient les Assises internationales du journalisme au mois de novembre. Près de 1 000 journalistes sont venus des différentes rives de la Méditerranée et de plus loin encore pour interroger leur métier. Aujourd’hui, notre profession est en phase de questionnement sur la définition même du rôle du journaliste, sa fonction, son statut, ses responsabilités. À Marseille, lorsque trois immeubles s’effondrent tuant 8 personnes, le journaliste de MarsActu, Benoît Gilles, qui enquête depuis de longues années sur l’immobilier, fait part de son désarroi et de sa colère : les équipes de Marsactu avaient publié plusieurs reportages sur l’insalubrité de l’habitat dans la ville. Sans résultat.
Au sein de la rédaction de 15–38 Méditerranée, nous pensons que l’engagement fait partie de notre métier. Non pas au sens d’un engagement partisan, mais plutôt pour le rendre accessible à tous et donner la parole au plus grand nombre. Pour cela, il est nécessaire de renforcer notre indépendance financière et idéologique, avec le soutien des lecteurs.