A quelques kilomètres de la capitale Damas, les habitants des différentes localités de la région de la Ghouta ont à nouveau connu l’enfer des bombardements durant le mois de février. 2000 âmes (enfants, hommes, femmes) peut-être plus ont quitté ce monde. Les faibles appels à la trêve venus de quelques dirigeants occidentaux n’ont eu aucun impact sur la détermination du régime syrien et de leur allié russe à exterminer une des dernières poches rebelles du pays. L’avenir des 400 000 civils, lui reste incertain.
Depuis 5 ans, le siège de la Ghouta se poursuit. Les bombardements réguliers de l’armée syrienne et russe et la présence de groupes armés radicaux n’ont laissé aucun répit aux civils retranchés, souvent sous terre, dans des dizaines de localités qui forment cette région agricole. Cette fois, c’est bien la fin d’un temps pour ces habitants contraints ces dernières années de trouver de nombreuses alternatives pour survivre (blog de notre correspondant au Liban). Après les bombardements intensifs il y a un mois, des négociations entre les principaux groupes armés et le régime syrien ont abouti au déplacement des insurgés, de leurs familles et de certains activistes vers le nord du pays. Plus de 1 500 personnes dont des volontaires ont donc été déplacés sous la direction de l’armée syrienne dans la région d’Idleb (Nord-Ouest). Dernière poche de la rébellion où différents groupes se disputent le territoire.
« Les civils n’ont plus vraiment le choix » confie Sarah coordinatrice de « Swa’adna Alsouria » (aidons la Syrie), « à part le nord d’Alep, la banlieue de Homs et Idleb qui échappent encore à l’armée syrienne, ils n’ont aucun autre endroit où se réfugier, suite aux accords avec le régime les familles de la Ghouta ont peur de se faire arrêter ou tuer par l’armée et préfèrent rester au milieu des ruines». Considérés comme terroristes par le régime syrien au même titre que les combattants armés, ils sont contraints de quitter leurs villes natales. « Pour la Ghouta c’est un vrai casse tête, il s’agit de 400 000 personnes, une partie sera déplacée au nord du pays, la moitié restera peut-être sur place en fonction des accords et une autre partie devra rejoindre les centres de vie collective de la capitale » poursuit Sarah. En ce mois de mars 2018 sur 80 000 personnes déplacées, 50 000 auraient rejoint ces centres collectifs.
Le dénuement des « centres collectifs »
Logés dans des anciennes écoles, salles de sport ou entreprises abandonnées, les centres collectifs sont loin de l’image qu’on a d’un centre de prise en charge. Ils sont gérés par les autorités syriennes qui contrôlent les civils arrivant de zones reprises par les forces armées syriennes. Là, des familles entières vivent comme dans une prison selon les mots de Sarah. « Lors de la reprise de la banlieue de Deraya par l’armée après un long siège, nous avons vu des squelettes sortir des abris, ils ont pour la plupart été dirigés dans ces centres collectifs où les conditions d’hygiène sont déplorables. Le personnel gestionnaire est plutôt accueillant mais il n’y a pas d’eau et très peu de nourriture. J’ai vu des femmes enceintes, des nouveaux nés en détresse », témoigne Sarah qui était encore sur place. Dans ce contexte sombre, ces Syriens traumatisés ne bénéficient d’aucune prise en charge, et les enfants doivent grandir la peur au ventre.
Les déplacements de population, orchestrés par le régime syrien et parfois en accord avec les groupes armés encore présents dans les zones où l’armée syrienne a repris le pouvoir, sont souvent forcés en Syrie et en totale violation du droit international humanitaire (rapport Amnesty International ici). Les habitants de Deraya (banlieue sud de Damas) et d’Alep évacués après les sièges ont été conduits soit dans des centres collectifs, soit à Idleb qui incarne encore un bastion révolutionnaire malgré la présence de groupes radicaux qui s’imposent à la population. Mais pas de différence pour le régime qui les considèrent tous comme « terroristes ». Les déplacés de la Ghouta subissent le même sort aujourd’hui. « Certains traverseront peut-être la frontière pour aller en Turquie, mais cela concerne une infime partie car il faut de l’argent pour aller s’installer en Turquie et la frontière est fermée pour les réfugiés. Donc la plupart resteront à Idleb et dans les zones rurales proches d’Alep où il y a encore des zones hors contrôle du régime. Les autres resteront dans la Ghouta orientale (Banlieue Est de Damas), et échapperont au contrôle du régime. Les hommes entre 18 et 50 ans seront certainement arrêtés ou enrôlés de force dans le service militaire, nous ne savons pas. Mais jusqu’à maintenant le régime a déplacé les gens de la Ghouta dans des centres collectifs et à Idleb. » analyse Sarah. Environ 20 000 personnes auraient eu l’autorisation de rejoindre des proches hors de la Ghouta.
Déplacer les civils vers les zones rebelles
En forçant les populations à rejoindre des zones hors de son contrôle, Damas leur indique qu’elles ne pourront pas réintégrer le pays qu’il est en train de reconquérir petit à petit. Et pire encore, il les concentre dans des villes et des provinces qu’il bombarde ensuite pour en reprendre le contrôle. Cela a été le cas en 2016 avec la fin du siège d’Alep, des dizaines de milliers de civils ont été déplacés à Idleb et sa province, qui ont subi des assauts sans précédents durant 2017. Dans la Ghouta, même stratégie pour les civils de Deraya et de Mouadhamiya, localités de la Ghouta occidentale (banlieue sud de Damas) reprises en 2016 par l’armée, en partie déplacés à Douma. Cette « capitale » de la Ghouta orientale est pourtant constamment bombardée par les aviations russe et syrienne et plus intensément depuis février 2018. Quel sera le prochain « massacre » ? Il se pourrait qu’Idleb devenue la capitale des déplacés forcés devienne la prochaine cible du régime, une des dernières poches de la rébellion. En attendant, les habitants eux aussi oubliés du conflit s’organisent là où les services de l’État ont disparu depuis plus de cinq ans. Avec les nouveaux arrivants, les actions de solidarité se sont étendues à la province. Sarah conclut : « Si notre équipe doit quitter la Ghouta pour aller à Idleb, nous poursuivrons nos projets là-bas, peut-être avec d’autres personnes. Le conflit ne nous arrêtera pas ».
Hélène Bourgon
Photo : Des volontaires de l’association Swa’adna Alsouria préparent des assiettes de riz pour les porter dans les différents abris de la ville de Douma dans la Ghouta orientale. @Association Swa’adna alsouria
Swa’adna Alsouria
L’association Swa’adna Alsouria est née en 2014 de l’initiative d’un groupe d’amis et de leurs familles dont fait partie Sarah interrogée dans l’article ci-dessus. Ella a 35 ans et vient de la région de Hama dans le centre Est du pays, non loin de Homs où elle était ingénieure en génie civil. Après avoir participé aux différentes manifestations contre le régime syrien, elle crée avec des amis en 2014 une organisation pour venir en aide aux familles bombardées par l’armée. «Aujourd’hui nous avons plusieurs équipes qui travaillent dans la Ghouta, à Idleb, à Homs et dans la province d’Alep. Nous apportons de l’aide d’urgence, de l’éducation pour les enfants et du matériel de santé, nous faisons beaucoup, avec peu de moyens ». L’équipe compte 50 personnes dans la Ghouta orientale principalement à Douma où survivent plus de 150 000 civils.
Pour aider leurs actions dans la Ghouta : http://codssy.org/ghouta/