La réforme du code du travail « la plus importante qui avait été évitée en France depuis 20 ans » selon Emmanuel Macron va bel est bien apporter « plus de souplesse, de sécurité et de simplicité », oui, mais aux patrons et non aux salariés. Sur le plan de la santé des travailleurs, elle inquiète les représentants syndicaux des branches professionnelles exposées à des risques.
La ministre du Travail Muriel Pénicaud pourrait bien devenir la bête noire des représentants des travailleurs dans les entreprises, et notamment des représentants des CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) qui assurent une veille sur la prévention des risques et l’organisation du travail au sein des entreprises. Dans le cadre de la réforme du code du travail, les nouvelles ordonnances prévoient de fusionner les instances représentatives du personnel (IRP) à savoir les délégués du personnel, les comités d’entreprise et les CHSCT en une seule entité : le comité social et économique, le CSE. La fusion des différentes entités prévue en 2019 va réduire de 60 % les moyens humains et matériels, précieux outils dont les comités bénéficiaient depuis leur création en 1947 et leur développement en 1982. Ils sont alors obligatoires dans les entreprises industrielles de plus de 50 salariés, et de plus de 500 pour les autres branches. La disparition des CHSCT marque un tournant dangereux selon ses représentants, notamment pour les salariés qui occupent des postes à risque et dont la représentativité en matière de sécurité et de santé ne sera plus assurée.
Quand on prend le train jusqu’à Fos-sur-Mer depuis Marseille, les paysages idylliques de la Côte Bleue laissent peu à peu place à la vue d’immenses cuves de raffinerie, de cheminées crachantes et de sites industriels logés entre des bouts de nature, d’habitations et de mer. Intrigant au premier abord, ce paysage industriel devient inquiétant quand l’odeur de goudron vient se mêler au spectacle. L’odeur est pesante à la descente du train. En face de l’arrêt de bus, l’usine KERNEOS Aluminate Technologies fume et vibre comme une locomotive, à quelques mètres des habitations et d’un cours d’eau.
A Fos-sur-Mer, si vous voulez parler des droits des travailleurs, on vous dirige directement à « la Maison de Fos » qui abrite les différents syndicats, défendeurs des salariés des 15 usines pétrochimiques de la localité. (Voir carte enquête Fos Epseal).
Ici, nombreuses sont les personnes qui travaillent depuis l’âge de 18 ans dans les usines du coin et sont plutôt calées lorsqu’il s’agit de parler des risques liés à l’emploi et la nécessité de faire de la prévention. Jean-Philippe Murru, ancien secrétaire du CHSCT de Kem One FOS, aujourd’hui animateur au sein du CHCST CGT de Fos-sur-Mer et secrétaire du S3PI (Secrétariat permanent de la prévention des pollutions industrielles), Xavier Trolliet, délégué syndical CGT et secrétaire du CHSCT de l’usine Liondell Chimie et Hervé Brisson son adjoint, se battent depuis des années pour mettre un peu d’ordre dans les pratiques des puissantes industries.
« Il est important de comprendre l’intérêt de notre mission qui est de faire un travail de veille et de combler les vides. Aujourd’hui, les inspecteurs du travail et les médecins du travail sont peu nombreux et très sollicités, ce qui ne leur permet pas de mener des enquêtes et de se pencher sur tous les cas d’accidents du travail, de maladies ou de risques sur un poste de travail », confie Jean-Philippe Murru, ancien secrétaire du CHSCT de l’usine Kem One à Fos-sur-Mer, qui produit du chlore, de la soude et de la chlorure de vinyle pour fabriquer du PVC. Les grands enjeux d’aujourd’hui sont pour eux, la prévention auprès des salariés des risques qu’ils encourent en travaillant sur certains postes et le traçage de leur parcours professionnel sur ces postes à risque, afin de garder une trace en cas de maladie qui se déclarerait plus tard. « Sans ce traçage, les anciens salariés qui déclarent une maladie ne pourront pas faire valoir la reconnaissance de la maladie professionnelle, si c’est le cas, et ne seront pas pris en charge et suivis médicalement dans de bonnes conditions. On trouve aujourd’hui de nombreuses familles en détresse qui n’ont pas les moyens de payer une partie des traitements, alors qu’ils auraient peut-être pu être pris en charge par leur caisse professionnelle ». Ce travail sera d’autant plus important à l’avenir car aujourd’hui, les usines sous-traitent de plus en plus et emploient des personnes en intérim qui sont amenées à travailler pour des dizaines d’employeurs durant leur parcours professionnel. Sans les CHSCT, nous allons vers un recul de tous les efforts menés en ce sens ces dernières années. Le nombre de cancers liés à ces industries et leur manque de vigilance est une vraie bombe à retardement pour la sécurité sociale, alors que de nombreux problèmes de sécurité pourraient être dès aujourd’hui réglés à la source, comme le démontrent les CHSCT.
« Combien de citoyens savent que, selon le rapport du plan cancer 2014–2019, 14 000 à 30 000 cancers dépistés en France seraient d’origine professionnelle sur les 355 000 nouveaux cas estimés en 2012 soit entre 4 et 8,5%. Par ailleurs, environ 13,5% de salariés en France seraient exposés à un ou plusieurs facteurs cancérogènes au cours de leur activité professionnelle, soit environ 2 370 000 salariés. » Extrait du livre « Polluants industriels, salariés en danger » révélation sur une contamination silencieuse, de Jacqueline de Grandmaison
Les trois hommes insistent sur le fait que de nombreuses maladies qui ont des causes professionnelles dépendent du système général de la Sécurité sociale alors qu’elles devraient dépendre de la caisse des maladies professionnelles avec la CARSAT (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail). Elle est en principe en charge de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et de leur prise en charge avec un système de tarification spécifique. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, il est impossible de faire reconnaître une maladie professionnelle si un suivi à toutes les étapes du parcours professionnel n’a pas été fait. Les représentants mettent en cause la CARSAT, qui dans les cas auxquels ils ont eu affaire, n’a pas mené son travail d’enquête sur les postes occupés par le patient. Ce sont donc les CHSCT qui, dans bien des situations, pallient ce manque tout en rencontrant des difficultés car leur avis reste consultatif. Bien que l’Institut national de recherche scientifique (INRS) dénombre 99 tableaux détaillés de maladies professionnelles : « C’est un vrai parcours du combattant pour un salarié de prouver le lien entre une maladie et son environnement professionnel, et cela devrait commencer chez les médecins qui n’ont pas le réflexe de demander à leurs patients quel genre de poste ils occupent au travail. Le salarié devrait pouvoir bénéficier d’un suivi spécifique s’il a été exposé à des produits », poursuit J‑P Murru. Les nouvelles ordonnances iraient selon lui vers une fusion des deux caisses maladies afin que le contribuable paie et que les employeurs soient exonérés de toute responsabilité et dédommagement. Comme pour les inspecteurs du travail, les employés de la CARSAT au niveau régional manquent de moyens humains et se penchent uniquement sur les cas les plus graves.
« Casser la représentativité des travailleurs »
« La suppression des CHSCT, c’est la casse de la représentativité des travailleurs et de la proximité des réalités du terrain qu’ils assurent » lance Julien Haddad, représentant du CHSCT d’Enedis-anciennement ERDF. Technicien de maintenance dans les « postes sources » (lignes à haute tension d’où part l’électricité), ce jeune salarié a été élu au comité en 2017. Suite à un grave accident qui a touché un technicien sur un transformateur, il se bat aujourd’hui avec le soutien de la CARSAT et un inspecteur du travail pour faire évoluer l’organisation du travail sur les zones où interviennent les techniciens Enedis. « L’important pour nous, et le rôle du CHSCT a été de demander une expertise et d’obtenir des recommandations pour l’employeur afin qu’il revoit l’organisation du travail sur ces missions parfois périlleuses. Nous avons dû lutter dès le début et être présents auprès de notre collègue gravement blessé et de ses proches, afin de faciliter la communication avec l’employeur qui a cherché au début à isoler la victime de l’entreprise, à le couper totalement de ses collègues. Nous avons pris beaucoup de temps pour aiguiller, renseigner l’inspecteur du travail en charge de l’enquête et les experts pour l’expertise ». L’expertise pointe les dysfonctionnements et émet des recommandations sur des modes d’organisation du travail à modifier, afin d’écarter le salarié de tout danger. L’employeur est libre de les suivre. Dans le cas d’un grave accident, il a intérêt à les suivre s’il ne veut pas être poursuivi en cas de répétition de l’accident. Mais il ne le fait pas toujours, ou prend le minimum de dispositions pour montrer qu’il a fait des efforts. Dans le cas présent, l’employeur aurait simplement ajouté deux chaînettes rouges et blanches à celles existantes. Manque de volonté ou hypocrisie, les décideurs sont bien loin des réalités vécues par les techniciens. « Les ingénieurs qui décident et délimitent notre sécurité sont trop loin et n’ont pas toutes les clefs de compréhension du poste », poursuit le technicien, « ce terrible accident nous a permis de nous rapprocher des agents affiliés à ce genre de poste afin de les informer sur les obligations et les mesures que doit prendre l’employeur pour leur sécurité ». Car l’employeur mise sur la protection individuelle : « chacun est responsable de sa sécurité, son port de casque ou de chaussures de sécurité », au lieu de prendre le problème à la source et d’améliorer les conditions de travail afin d’éviter la mise en danger de toute une équipe. En général, le salarié se range du côté de l’employeur par réflexe et lui donne raison, lui fait confiance comme il le fait depuis plus de 20 ans pour les plus anciens, ce qui complique la tâche des CHSCT qui tentent aussi de changer les mentalités des salariés. « Dans les neuf grands principes généraux de la prévention cités dans le code du travail, la protection individuelle intervient en dernier alors que : éviter, évaluer et combattre les risques figurent dans les trois premiers », rappelle Julien Haddad.
Les expertises désormais menacées
Sollicitées soit dans le cadre d’une décision patronale en matière de risque sanitaire, sécuritaire ou psycho-sociale, soit suite à un incident, les expertises sont vitales pour le suivi du respect des conditions de travail et la mise en sécurité des travailleurs. Malgré tout, à l’intérieur de la suppression des CHSCT, l’expertise est bel est bien menacée. Les nouvelles ordonnances prévoient qu’elle soit co-financée par l’employeur et le nouveau CSE (Comité social et économique). « Jusqu’à ce jour, si l’entreprise avait un projet de restructuration ou une modification notable, l’une des deux entités CE ou CHSCT pouvait mandater un expert pour se faire aider et rendre son avis, et cette expertise était financée à 100 % par l’employeur », confie Xavier Trolliet, le secrétaire CHSCT de Lyondell Chimie à Fos-sur-Mer. « Mais avec la nouvelle loi, l’employeur ne supportera désormais que 80 % de l’expertise et 20 % seront supportés par le CSE. Ce budget dédié au personnel sert à faire vivre les activités socio-culturelles du personnel de l’entreprise. Là, nous n’aurons plus de marge de manœuvre car les salariés ne vont pas accepter que l’on prenne sur le budget activités et loisirs et vont donc nous demander de limiter les expertises ». Pour les représentants, il est clairement question ici de limiter les actions pour la santé des travailleurs et de minimiser les possibilités des représentants des salariés. Seuls certains secteurs très exposés aux risques comme les dockers pourront encore bénéficier d’un CHSCT. Les professionnels de l’électricité devront se plier aux nouvelles ordonnances, tout comme de nombreuses usines pétrochimiques où les salariés sont exposés à des risques. Qui sera prêt à défendre leurs droits ? Le drame sanitaire causé par l’amiante n’aura pas suffi à lancer l’alerte sur la mise en danger de la santé des travailleurs, les patrons s’obstinent à ne pas apprendre de leurs erreurs et les salariés restent timides « face à la main qui les nourrit ».
Texte : Hélène Bourgon
Liens sources d’infos
Enquête Fos Epseal Janvier 2017 : https://f‑origin.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/3282/files/2017/01/FOS-EPSEAL-ANSES-16–1‑2017-logo-red.pdf
Institut national de recherche et de sécurité : http://www.inrs.fr/risques/cmr-agents-chimiques/ce-qu-il-faut-retenir.html
Décrêt du 29 décembre 2017 sur la création du Comité social et économique (CSE) qui fusionne les entités représentatives des salariés :
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2017/12/29/MTRT1732438D/jo/texte
Articles 15–38 sur les pollutions industrielles :
https://www.1538mediterranee.com/2017/08/23/zoom-sur-les-boues-rouges-de-lusine-alteo/