A Madrid et Barcelone, les Indignés au pouvoir face aux problèmes de logement

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Les nou­velles mairies issues du mou­ve­ment des Indignés éprou­vent des dif­fi­cultés à gér­er les villes et per­dent le sou­tien de ceux qui ont porté leur suc­cès.

Ada Colau, ex-con­tes­tataire et fig­ure charis­ma­tique du mou­ve­ment Podemos, est dev­enue il y a deux ans, la pre­mière maire fémin­iste de la ville de Barcelone. L’une des actions les plus écla­tantes entamées par l’exécutif depuis est la lutte con­tre les loca­tions touris­tiques illé­gales. Agusti Colom est pro­fesseur d’économie et con­seiller munic­i­pal pour le tourisme : « Tous les apparte­ments loués aux touristes qui ne fig­urent pas dans le reg­istre com­mu­nal seront fer­més. Airbnb est dans l’erreur, parce qu’à Barcelone la légal­ité existe et elle est respec­tée. En 2017, nous avons déjà sanc­tion­né plus de 300 activ­ités illé­gales. Le tourisme crée des emplois et des oppor­tu­nités pour la ville, mais nous devons con­trôler et lim­iter ses effets négat­ifs ». En accord avec la loi cata­lane, Airbnb et d’autres struc­tures sim­i­laires pour­raient recevoir une amende qui va jusqu’à 600 000 euros. Dans les rues de Barcelone, les man­i­fes­ta­tions con­tre l’afflux touris­tique sont de plus en plus courantes.

Ada Colau au bureau de vote à Barcelone, le 21 décem­bre 2017

«Ada Colau a accep­té le com­pro­mis avec les insti­tuts financiers»
Mal­gré ces bons résul­tats, Ada Colau sem­ble avoir per­du le sou­tien de l’organisation dont elle a été la fon­da­trice : la Platafor­ma des afec­ta­dos de hipote­cas , la plate­forme des vic­times de l’hypothèque (PAH). « Dès son arrivée à la mairie, Ada Colau a accep­té le com­pro­mis avec les insti­tuts financiers qui gèrent les dettes immo­bil­ières. Les mêmes accords ont été adop­tés ici à Madrid par le maire Manuela Car­me­na. Avec le temps, on se rend compte que cer­tains activistes, qui étaient il y a quelques années dans la rue avec nous, ils avaient déjà un pro­jet poli­tique bien clair. Alors, les solu­tions ne sont pas les mêmes pour ceux qui veu­lent chang­er le sys­tème poli­tique du pays et pour nous, qui voulons avant tout sauver notre mai­son », explique Luis Chamar­ro, coor­di­na­teur de la sec­tion de Madrid.

En Espagne, depuis 2006, 770 000 per­son­nes ont été expul­sées de leur foy­er. Entre 2009 et 2016, plus de 15 100 per­son­nes se sont sui­cidées en con­séquence de ce qu’on appelle ici le «ter­ror­isme financier». « Les claus­es dans notre con­trat sont illé­gales, les ban­ques ont ven­du notre dette à d’autres insti­tuts financiers. Les juges du tri­bunal le savent très bien, pour­tant ils con­tin­u­ent à défendre les ban­ques et à enfrein­dre la loi », explique Maria Isabel, 69 ans, durant un rassem­ble­ment de la PAH en face du Con­grès des députés. Patri­cio Con­dor, 52 ans, d’origine équa­to­ri­enne, arrive mal­gré tout à en rire : « Per­son­ne ne nous aidait, on a dû appren­dre par nous-mêmes à inter­préter le lan­gage bureau­cra­tique des ban­ques, on a tous pris un cours inten­sif en jurispru­dence. »

La sor­tie du métro à Lava­piés, lieu habituel de ren­dez-vous

La crise économique de la péri­ode 2008–2011 avait fait bas­culer les équili­bres poli­tiques et le tra­di­tion­nel partage du pou­voir entre le Par­ti pop­u­laire (PP) et le Par­ti social­iste ouvri­er espag­nol (PSOE). Lors des élec­tions com­mu­nales de décem­bre 2015, deux nou­velles for­ma­tions, issues du mou­ve­ment des Indignés, ont gag­né la mairie de deux plus impor­tantes villes du pays : Madrid et Barcelone. Aho­ra Madrid et Barcelona en Comù, soutenus par Podemos, incar­nent l’espoir des mil­liers d’Espagnols pour un vrai change­ment sur des ques­tions sociales et économiques comme le droit au loge­ment, la fémin­i­sa­tion de la poli­tique, l’égalisation des salaires et le tra­vail digne.

A Lava­piès, des loy­ers tou­jours plus chers
A Madrid, les prob­lèmes de loge­ment ont de mul­ti­ples formes. Selon une enquête du quo­ti­di­en El Paìs, depuis 2014 le prix moyen des loca­tions a aug­men­té de 36 %. Cer­tains quartiers du cen­tre-ville vivent une véri­ta­ble gen­tri­fi­ca­tion poussée, c’est le cas de Lava­piés, un quarti­er aux rues étroites dans la par­tie sud de la cap­i­tale. « Lava­piés était un quarti­er pop­u­laire jusqu’à peu, explique Tere­sa Palo­mo, jour­nal­iste indépen­dante qui vit dans le quarti­er depuis 8 ans. Ici habitaient des com­mu­nautés de Lati­no-Améri­cains, d’asiatiques et de sub­sa­hariens. Puis à un cer­tain moment, Lava­piés a com­mencé à se faire con­naitre à cause des bagar­res noc­turnes, il est devenu le quarti­er dan­gereux du cen­tre-ville, alors qu’en vérité on y vivait très bien ». L’ex­plo­sion des loca­tions touris­tiques au cen­tre-ville a pour­tant entraîné une aug­men­ta­tion sys­té­ma­tique des prix des loy­ers dans toute la ville. Lava­piés a été gen­tri­fié au prof­it des couch­es sociales supérieures à la recherche de prix plus abor­d­ables, ce qui est en train de chang­er rapi­de­ment le pro­file socio-économique du quarti­er. Si les étrangers aban­don­nent, pour ceux qui restent la sit­u­a­tion n’est pas plus facile. José Emilio, 43 ans, acteur de théâtre venu de Cadix, vit depuis des années dans une sit­u­a­tion pré­caire : « Avec mon méti­er, je n’arrive jamais à avoir des entrées sta­bles. Pour faire face à l’augmentation des prix, j’ai dû sous-louer une petite cham­bre et partager mon apparte­ment avec quelqu’un. Alors que rien ne jus­ti­fie une telle explo­sion des prix des loca­tions ».

Face à cette sit­u­a­tion, l’ab­sence de dia­logue s’ac­centue entre les dif­férents par­ti­sans du mou­ve­ment du 15M (de 15 mai 2011, date d’un impor­tant rassem­ble­ment spon­tané, à l’origine du mou­ve­ment des indignés). « C’est très bizarre de faire par­tie des insti­tu­tions, d’accepter le grand cirque médi­a­tique, où tout se joue sur de sub­tiles tac­tiques. Alors qu’on était habitué à la con­fronta­tion sincère de la rue, où on pou­vait s’exprimer sans aucune hypocrisie », analyse Lucia Mar­tin, porte-parole du mou­ve­ment Barcelona en Comù au con­grès des députés espag­nols à Madrid.

Une prochaine pos­si­bil­ité de réc­on­cil­i­a­tion, sera sans doute le rassem­ble­ment pour la «renta basi­ca », le revenu de base uni­versel, prévu dans les semaines à venir à Madrid. Perçu par les activistes comme une mesure essen­tielle pour faire face au «ter­ror­isme financier» et à la cor­rup­tion poli­tique. Un sujet trans­ver­sal, qui tient à cœur à la fois aux mou­ve­ments de rue et aux nou­velles for­ma­tions poli­tiques espag­noles. Mal­gré les frac­tures internes, et les plus récentes dif­fi­cultés à dia­loguer entre Madrid et Barcelone, les Indignés ont tou­jours les moyens d’occuper l’espace pub­lic espag­nol.

Texte et photos : Samuel Bregolin

Pho­to de Une : une man­i­fes­ta­tion de la PAH en face du Con­grès des députés espag­nols, jeu­di 25 jan­vi­er 2018

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