Colette est une retraitée installée à Noailles. Elle vit à Marseille depuis 15 ans, après une vie de couturière entre la Loire et Paris, à la grande époque de la bonnèterie française. Le 1er octobre, elle ne se souvient plus vraiment où elle était, mais elle sait que son mari avait prévu d’aller chercher un ami à la gare. Il n’a pas pu passer les barrages de police positionnés en bas des marches de l’escalier de Saint-Charles, deux cousines de 20 et 21 ans venaient d’être égorgées. Un acte revendiqué dans une vidéo par l’auteur de cette attaque qui été abattu par les militaires présents dans la gare. Cette attaque, qualifiée de terroriste, l’a marquée, mais n’a pas changé son quotidien. Pour Colette, la menace terroriste a toujours été présente, même si notre conscience nous pousse parfois pour se défendre, à l’oublier. Entretien au fil des rues de Marseille, de Noailles à la gare Saint Charles.
Colette, que signifie le mot « terrorisme » pour vous ?
Frapper les gens en leur faisant peur.
Ce qui s’est passé en octobre à Marseille, était-ce un acte de terrorisme ?
Je n’arrive pas à déterminer dans toute cette mouvance les terroristes, des gens malades qui agissent par folie. Bien sûr, il a dû être influencé. C’est en partie un acte terroriste, un acte guerrier, d’extermination, oui.
Nos pas nous ont portées de la rue tranquille et fleurie où elle réside vers le marché de la place des Capucins, très animé en ce milieu de matinée. Carrefour des saveurs, le marché fonde l’identité de ce quartier cosmopolite où l’étal du poissonnier rencontre celui du primeur, du vendeurs d’olives ou de melaouies (crêpes marocaines).
Cette attaque a‑t-elle eu une influence sur vous au quotidien, vos comportements, vos déplacements dans Marseille ?
Non, je ne suis pas plus inquiète. Ca ne change rien, je n’ai pas de contrainte particulière. Dans les grands magasins j’ouvre mon sac. Finalement, j’ai toujours vécu ça. Dans les années 1970 à Paris c’était la même ambiance.
Avons-nous oublié que la France a déjà été visée par des séries d’attentats ?
Oui, c’est certain. Il y a eu l’OAS quand j’étais petite, l’OLP des Palestiniens, le FIS en Algérie, et dans les métros des hommes en armes. Ca ne me rassurait pas du tout d’ailleurs. Je me disais : tu vas finir par te prendre une balle aussi. Mais à Noailles, je ne me sens pas tellement visée. Je vis dans un quartier qui a toujours été mixte. Je ne me sens pas plus menacée aujourd’hui, mais je ne tolère plus certaines pratiques.
Les attaques visant la France depuis 2015 ont influencé notre manière de vivre ensemble selon vous ?
Je ne crois pas. Personnellement, j’étais déjà contre le foulard. Aujourd’hui, je ne supporte plus. Ca m’agresse en tant que femme française et féministe. Cela dit, j’ai vu un changement dans les pratiques religieuses. A mon arrivée, les commerçants ne fermaient pas leur boutique le vendredi. Aujourd’hui, ils ferment pratiquement tous.
Ces attaques ont-elles fait émerger un problème provenant des Français musulmans ? Pensez-vous comme certains politiques l’affirment, Manuel Valls notamment, qu’il y a un problème avec les Musulmans en France ?
Je ne suis pas croyante, et pas contre les religions. Nous nous sommes battus en France contre le cléricalisme, c’est en quelque sorte une tradition. Je ne supporte pas de voir la religion visible dans la rue. Claude, mon mari, est très sensible à ce qui se passe aujourd’hui. Il est de la génération 68 qui défend la laïcité, le vivre ensemble, la lutte contre l’argent roi…
Ces attaques ont fait ressortir un questionnement sur cette religion car je pense qu’elle est intolérante avec les femmes et les homosexuels. Elle ne laisse pas le droit de ne pas faire le ramadan, si tu as une gueule de musulman. Quand je vois des femmes voilées, j’aimerais leur dire : vous obéissez à un prophète, un imam, un mec. Je parle franchement. Je suis remontée. Mais je veux vivre avec les gens. J’aide des femmes et les enfants dans des associations. Je n’ai pas de problème relationnel et personnel, c’est une question d’idéologie. On parle de cette religion parce qu’il y a Daech, sinon on n’en parlerait pas autant.
Au cœur de Marseille, à quelques pas de la Canebière et alors que nous nous dirigeons vers la gare Saint Charles, une voiture de militaires du plan vigipirate passe devant nous. Cette présence visible des forces de l’ordre nous donne l’occasion de parler des moyens de lutter contre la menace terroriste.
L’augmentation des mesures de sécurité est-elle utile selon vous ?
« Surement »… Colette hésite. « Je ne peux pas vous dire. Ca ne pèse pas sur mon quotidien. Même avant les attentats, n’importe quoi pouvait vous tomber sur la tête et vous tuer. Je n’ai jamais eu peur de sortir quelque que soit l’heure. Dans mon quartier les magasins sont ouverts tard, c’est rassurant. Les commerçants nous connaissent. A Noailles, on se sent plutôt protégé. Je préfère les quartiers populaires. Je salue tout le monde. Je bavarde.
Selon vous, on peut lutter contre le terrorisme en tant que citoyen français ?
Individuellement, on ne peut rien faire… à part affirmer ses opinions et lutter contre les extrémismes.
Et collectivement ? A Marseille particulièrement, comment agir ensemble ?
Marseille, avait été épargnée par les attentats et les violences. La ville a toujours vécu de petits trafics. Les gens ont plus envie de faire du fric que de mettre des bombes, voici mon opinion générale. L’ambivalence entre la propreté et la négligence, peut être est-ce le prix de la paix de la ville ? Marseille est souvent désignée comme une ville de mixité, de migrations. Une image qui lui colle à la peau.
Cette image est-elle vraie ?
Ca dépend des quartiers. La mixité est de moins en moins présente. A Noailles, tout est laissé à l’abandon. Les marchands de sommeil pullulent, les incivilités augmentent, les gens boivent dans la rue et crient la nuit. Mais bon, c’est Marseille. La police de proximité passe et tout le monde revient juste après. On reste vigilant, on les chasse gentiment s’ils ne sont pas corrects et laissent leur détritus.
Si vous pouviez, vous iriez ailleurs ?
Personnellement, non. Je compose, je m’adapte. Ca va s’arranger. Je pense que dans un siècle tout ira mieux !
Vous êtes plutôt optimiste sur le vivre ensemble à long terme ?
Oui, si chacun y met du sien, et ne reste pas dans ses ghettos, on y arrivera. Même si c’est vrai que c’est difficile de faire se rencontrer les communautés. On se croise, on se connaît, mais c’est parfois difficile de créer plus de lien.
Les politiques ont-ils des solutions à nous apporter dans ce but ?
La politique c’est très compliqué. On fait remonter des chose à la Mairie mais ils n’ont pas de réel pouvoir. Avant que ça bouge, il faut des années. Je préfère agir dans mon quartier, dans une association, autour de moi, dans le local. Parler pour ne rien dire, ça me gonfle. Je préfère agir ; partager le café, aider les enfants à faire leurs leçons, etc.