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Après les Égyp­tiens et les Tunisiens, les Libyens ont été le troisième peu­ple dans l’or­dre chronologique des « révo­lu­tions arabes » à deman­der la chute du régime en place représen­té par Muam­mar Kad­hafi. Aujour­d’hui le pou­voir cen­tral est faible et les dif­férentes mil­ices refusent de se pli­er à son autorité. Le peu­ple lui, sem­ble dés­abusé de la sit­u­a­tion insta­ble et des con­di­tions de vie. Le « tyran » n’est plus là mais que reste t‑il du droit des Libyens à vivre dans un État de droit ?

Le des­tin de la Libye ques­tionne. Les aspi­ra­tions d’une par­tie du peu­ple libyen exprimées quelques jours en 2011 avant d’être rapi­de­ment réprimées par l’ar­mée de Mouam­mar Kad­hafi sont loin d’être sat­is­faites aujour­d’hui mal­gré la dis­pari­tion du « guide de la révo­lu­tion ». A l’époque, face à la répres­sion mil­i­taire, le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire s’é­tait rapi­de­ment armé du coté de la rébel­lion qui a fait de Beng­hazi son fief, à l’Est du pays. L’in­ter­ven­tion de l’OTAN, des émi­rats et du Qatar pour les soutenir puis la mort de Kad­hafi ont con­sti­tué un tour­nant. Mais l’ab­sence de vision et de pro­jet poli­tique pré­cis pour l’avenir, dès la fin 2011, a con­duit le pays à l’a­n­ar­chie insti­tu­tion­nelle, sécu­ri­taire, économique et human­i­taire lais­sant choir les espoirs des Libyens.

« Jusqu’à la fin de son règne, Kad­hafi s’ap­puyait sur les struc­tures trib­ales pour relay­er son pou­voir et con­trôler la pop­u­la­tion. Nous sommes, dans le cadre libyen dans la fic­tion d’un non État où Kad­hafi a tout fait pour qu’il n’y ait pas d’in­sti­tu­tion­nal­i­sa­tion du pou­voir et que l’État cen­tral soit le plus faible pos­si­ble. Cette absence d’État répond aus­si à des par­tic­u­lar­ismes locaux chers aux Libyens. Lorsque le régime s’est effon­dré, on s’est trou­vé face à un vide avec quelque chose qui a encore moins de prise sur le pou­voir et sur le pays. » souligne Saïd Had­dad chercheur asso­cié à l’IRE­MAM, Insti­tut de recherch­es et d’é­tudes sur le monde arabe et musul­man, « Il y a aujour­d’hui encore une com­péti­tion pour le pou­voir entre le con­seil nation­al de tran­si­tion à Beng­hazi et les dif­férentes mil­ices à l’ouest qui ont prof­ité du vide poli­tique libyen pour s’im­pos­er dans cer­taines régions et qui ont joué de leur légitim­ité pour s’in­scrire de plus en plus sur la scène poli­tique libyenne. »

Les Libyens absents de la recon­struc­tion

La vie poli­tique est actuelle­ment entre les mains de per­son­nal­ités et de nou­veaux par­tis qui siè­gent au sein des deux par­lements, l’un situé à l’Est du pays, à Tobrouk dans la province de Cyré­naïque et l’autre à Tripoli, la cap­i­tale, dans la province de Tripoli­taine (cf carte). Ces deux provinces rivales incar­nent la divi­sion poli­tique du pays. Les deux entités ne parvi­en­nent pas à s’en­ten­dre et notam­ment sur la com­po­si­tion du gou­verne­ment d’u­nion nationale imposé par la com­mu­nauté inter­na­tionale (ONU et Europe) en décem­bre 2015. La deux­ième ces­sion de pour­par­lers qui a eu lieu en octo­bre dernier (15–21 octo­bre 2017) à Tunis, sous l’égide de l’ONU pour procéder au partage du pou­voir au sein de ce gou­verne­ment d’u­nion nationale a échoué. Le refus de la par­tie tripoli­taine de renon­cer à son droit de nom­mer le chef des armées avec comme favori le maréchal Haf­tar (ancien kad­hafiste) et l’at­tri­bu­tion des tâch­es au sein de l’État con­stituent les prin­ci­paux points de dis­corde.

Ces récentes dis­cus­sions se font sans l’aval de toutes les par­ties libyennes, c’est pourquoi aujour­d’hui le peu­ple libyen tout comme dif­férents par­tis, et mil­ices se sen­tent exclus ou sous-représen­tés lors des déci­sions qui se pro­fi­lent pour définir l’avenir du pays. « Ce que fait le représen­tant de l’ONU Has­san Salamé c’est d’élargir la table des négo­ci­a­tions aux représen­tants des villes et des tribus, et inté­gr­er au proces­sus poli­tique les mil­ices armées. Cer­taines d’en­tre elles font par­tie du paysage poli­tique notam­ment à l’ouest à Tripoli. Donc la vraie ques­tion est de savoir com­ment un pou­voir pour­ra réu­nir tout le monde. La place de la pop­u­la­tion dans tout cela…elle sem­ble dés­abusée », pour­suit le chercheur Saïd Had­dad. « Je pense qu’au­cun des acteurs poli­tiques ne peut se pré­val­oir d’un sou­tien du peu­ple libyen. » L’ag­gra­va­tion sévère des con­di­tions de vie, les réper­cu­tions sur la san­té, les trau­ma­tismes des affron­te­ments de ces dernières années ont engen­dré l’amer­tume chez les Libyens. D’au­tant plus que cer­taines zones à l’est mar­quées par la présence du général Haf­tar (l’un des favoris pour pren­dre le com­man­de­ment de l’ar­mée libyenne), sont vic­times de cen­sure poli­tique, loin des espoirs, bien que « mai­gres », insuf­flés par le début de révo­lu­tion en 2011.

Volonté d’autonomie en Cyrénaïque

Le 1er juin 2013, Zoubir Al Senous­si a proclamé l’au­tonomie de la province de Cyré­naïque (EST). Mem­bre du Con­seil nation­al de tran­si­tion (CNT) con­sti­tué à Beng­hazi, cet homme issu de l’ancienne famille royale libyenne est à la tête d’un groupe poli­tique fédéral­iste. Il veut réac­tiv­er la con­sti­tu­tion de 1951 qui assur­ait un partage des pou­voirs entre Tripoli et Beng­hazi. Cette idée de divi­sion ne venait pas des Libyens.
De 1947 à 1951 (date de l’indépendance Libyenne), la région de la Cyré­naïque et la Tripoli­taine étaient sous con­trôle des Bri­tan­niques. De 1943 à 1951, la région de Fez­zan était, elle, sous con­trôle mil­i­taire français. La divi­sion avait été pen­sée par les Ital­iens. La Sec­onde guerre mon­di­ale a ensuite fait entr­er la France et le Roy­aume-Uni sur le ter­ri­toire.
Aujour­d’hui, cette idée a été momen­tané­ment écartée, Senous­si n’a pas de man­dat offi­ciel et la Cyré­naïque con­cen­tre la majorité de la richesse pétrolière qui fait vivre le pays.

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