Si la loi l’autorise, les enfants nés en Algérie de parents migrants ont du mal à avoir accès à l’école. La faute aux réticences des directeurs d’école mais aussi des familles migrantes.
Sur la copie de l’examen de fin d’année, un 5/10 est inscrit en rouge. C’est l’épreuve de dessin. Sur la copie d’arabe, c’est un 0,5/10. Chenane, bientôt 7 ans, a intégré l’école publique du quartier «Cosider», à Bordj El Kiffan, en septembre 2015. Sa mère, une Camerounaise aux cheveux bouclés, se souvient être passée à l’école pour récupérer les premiers résultats. «J’étais contente, même si les notes n’étaient pas bonnes», explique-t-elle. Pour la première fois en 2015–2016, 25 enfants migrants sub-sahariens ont été scolarisés dans des écoles publiques. L’initiative a été limitée à Alger, mais rien n’empêche qu’elle se généralise.
«Nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’enfants de migrants, âgés de 6 ans, n’allaient pas à l’école. Nous avons contacté le ministère de l’Education. Pour eux, il était clair que tout enfant de 6 ans, présent en Algérie, devait aller à l’école. Nous avons établi une liste d’enfants, et le ministère nous a donné l’autorisation de les scolariser très rapidement», explique Imène Benchaouche, ancienne chargée de plaidoyer pour la mission «Algérie», de Médecins du Monde, et qui était en charge du dossier. La plupart de ces enfants, nés en Algérie, n’avaient pas de papiers d’identité, et leurs parents n’ont pas de certificat de résidence. L’association a donc travaillé avec le ministère pour adapter le dossier d’inscription. «Les parents ne savaient pas qu’une inscription était possible. Le ministère ne connaissait pas l’existence de ces enfants. Nous avons fait le lien», ajoute Imène Benchaouche.
Enfants francophones et anglophones pour école arabophone
Leroy, Liberien, est reconnaissant d’avoir pu inscrire son fils, Onesimus : «Il n’a rien à faire à la maison, il faut qu’il aille à l’école. Et il aime ça». Le petit garçon, visage rond, grand sourire, était scolarisé l’année précédente, mais dans une école privée. «Il y avait de l’anglais, du français, c’était plus simple pour lui, mais je n’avais pas les moyens de continuer à payer», raconte son père.
L’enseignement public, en arabe, pose de vraies difficultés aux familles des quartiers d’Alger qui sont majoritairement anglophones. Libériens et Nigériens, les parents maîtrisent peu le français, et ont très rarement des notions d’arabe. «Je ne parle pas l’arabe, je ne peux pas aider ma fille, alors elle fait ses devoirs toute seule, et elle s’en sort bien. Elle parle un peu arabe maintenant», raconte Bintou Touré, une Libérienne dont la fille de huit ans, était scolarisée au Liberia avant d’arriver en Algérie. «J’essaye d’aider Onesimus à apprendre à la maison, raconte Leroy. Il connait l’alphabet et ses tables de multiplications jusqu’à 4, mais en anglais! La difficulté, c’est la langue. Lorsqu’il a des devoirs, je l’emmène voir d’autres personnes dans notre communauté qui ont quelques notions d’arabe». Nyonoplu, 39 ans, vit en Algérie depuis 8 ans. Elle a inscrit sa fille, Myriam Faith, au deuxième trimestre. «Je ne peux pas lui enseigner l’arabe ou le français. tant qu’on vit en Algérie, il faut qu’elle aille à l’école et qu’elle apprenne ces langues». La petite fille, casquette rose sur la tête, boucles dorées «hello kitty» aux oreilles, dit qu’elle s’est fait ses amis. Quand on lui demande ce qu’elle a appris, elle répond : «Kahloucha machi chebba!» (une noire n’est pas belle), puis elle part en courant. Sa mère baisse la tête et sourit doucement : «Elle se bagarre souvent, on lui prend ses cahiers et ses stylos. Les enfants sont parfois violents. Il leur est arrivé de jeter des cailloux sur nous, les parents. Myriam Faith est devenue plus têtue. Mais je veux qu’elle continue à aller à l’école, elle va s’habituer, et elle va habituer les autres enfants à sa présence».
Onesimus et Myriam Faith (à droite), avec d’autres enfants qui eux ne sont pas encore scolarisés.
Photos : Leïla Beratto.
Sacrifices
La scolarisation a poussé les parents à bouleverser leurs habitudes: «Il faut l’emmener le matin, revenir le chercher, puis le raccompagner l’après-midi. Nous habitons à La Pérouse, c’est un long trajet. Parfois je m’énerve parce que j’ai l’impression de perdre beaucoup de temps, mais je veux qu’il apprenne, et si nous sommes ici, ce n’est pas de sa faute», explique Leroy. «Il faut faire des sacrifices. Chaque matin, je me lève à 6h. Nous habitons très loin, nous marchons plus de 20 minutes et ensuite il faut prendre un bus, puis le tramway. Parfois, lorsque nous arrivons, on nous renvoie parce qu’on est trop en retard. D’autres fois, on nous dit qu’on s’est trompé de jour, que la petite n’a pas école», raconte Nyonoplu, qui se demande pourquoi l’institutrice n’a pas donné un papier aux parents pour leur expliquer le roulement des classes.
Ce changement a aussi provoqué des inquiétudes du côté des écoles publiques : «Une directrice m’a demandé si les enfants étaient vaccinés. Je lui ai répondu, que oui, mais que si elle avait des doutes, elle n’avait qu’à leur faire passer une visite médicale», se souvient Imène Benchaouche. Après quelques semaines à l’école, une maman a raconté à l’association être contente car un enseignant lui avait dit que son enfant «était propre et bien habillé». A Bordj El Kiffan, les parents migrants ont pu rencontrer les enseignants de leurs enfants : «J’ai discuté deux fois avec la maîtresse, elle a été très gentille et a essayé de m’expliquer l’organisation du travail pour Myriam Fatih», explique Nyonoplu. «Moi, j’ai demandé à rencontrer l’enseignante, mais la directrice a refusé», ajoute la mère de Chenane. «C’est vrai qu’il y a des problèmes, mais on ne peut pas tout faire nous même. Nous n’avons personne pour nous aider. Il faut que l’école aussi prenne soin de nos enfants», conclu Binta Touré.
Réticences des parents
Certaines familles de migrants, contactées par Médecins du Monde, ont décliné l’offre de scolarisation à l’école publique. «Certains parents ont peur que leur enfant subisse les violences qu’ils subissent au quotidien, d’autres ont du mal à envisager de rester vivre dans le même quartier toute une année», résume Imène Benchaouche. Doudou, congolais de 33 ans installé à Alger depuis 10 ans, et père d’une petite fille, refuse de l’inscrire à l’école publique : «à la maison, on parle français, je veux qu’elle apprenne le français». Fabrice, père de deux enfants, rétorque : «Où est la différence ? Enseigner en langue arabe, c’est enseigner quand même, non?». Ce Camerounais de 45 ans a inscrit sa fille et son fils dans une école privée et ne veut pas les en retirer : «L’école s’est habituée à eux, ils ont leurs repères, c’est mieux qu’ils restent là bas». Le prix de la scolarisation est pourtant un problème. L’année dernière, son fils de 5 ans, n’a pas pu aller à l’école pendant un mois, parce que ses parents n’avaient pas trouvé l’argent nécessaire pour payer. Dora, l’aînée, aime bien son école : «Il y a des écoles qui ne font pas les travaux manuels». Dans son bureau, la directrice de l’école de Dora sourit : «Oui, elle est très douée pour les travaux manuels, et excellente élève en français. Mais, pour le reste, elle ne travaille pas assez». La maîtresse a proposé à la petite fille de prendre des cours de soutien, le mardi. «C’est un coût en plus. La directrice voudrait qu’elle y aille deux fois par semaine, mais je n’ai pas les moyens», explique Fabrice.
Des dispositifs spécifiques pour les réfugiés
En l’absence de précédent pour la scolarisation dans le public, des acteurs associatifs avaient structuré une aide à la scolarisation dans le privé. L’association Rencontre et développement a aidé à la scolarisation de 15 enfants migrants à Alger. Elle reçoit des subventions de plusieurs ambassades et d’organisations caritatives internationales pour inscrire les enfants dans des écoles privées. En 2011, les subventions étaient plus importantes et près d’une quarantaine d’enfants ont pu être scolarisés dans des écoles privées. La scolarisation des enfants réfugiés et demandeurs d’asile est encadrée et prise en charge, si nécessaire, par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), via le réseau de protection de l’enfance NADA. Toutes ces aides ne concernent qu’une infime minorité des 100 000 migrants présents sur le territoire, dont de plus en plus de femmes en âge d’avoir des enfants. Dans un communiqué publié l’année dernière, la Plateforme migration Algérie, qui regroupe 18 associations algériennes, écrivait : «Beaucoup d’efforts ont été consentis par l’Algérie pour l’amélioration de la situation {des} enfants. Ainsi, la scolarisation des enfants, quelque soit le statut administratif de leurs parents, dans les écoles publiques est actuellement possible. Cependant beaucoup d’enfants restent en dehors du système scolaire par manque d’information». Un responsable associatif résume : «C’est simple, on a toutes les cartes en main. Il faut juste mettre en place un accompagnement pour tous, les familles, les enfants et les professionnels de l’éducation».
Leïla Beratto