Si certains quittent la France pour scolariser leur enfant autiste, d’autres la rejoignent car la situation est bien pire dans leur pays.
D’Oran à Marseille: un exil pour une place à l’école.
Mia est franco-algérienne, elle est mère de deux enfants, dont Malik son ainé, 7 ans et atteint de troubles autistiques. La famille a quitté Oran en Algérie en 2014 pour rejoindre la France afin de scolariser Malik.Dès son plus jeune âge, Malik se distingue des autres enfants : il ne parle pas, joue très souvent seul et a des comportements stéréotypés. Si les parents se doutent de quelque chose, l’autisme est assez mal connu en Algérie, il y a peu de professionnels spécialisés et les algériens sont globalement mal informés.
C’est en regardant une émission de France 3 sur l’autisme que Mia prend conscience de la situation « c’était mon fils que je voyais à la télé, c’était exactement la même situation ».La famille se rend donc à Tlemcen, une ville à 2h30 à l’ouest d’Oran, où se trouve l’une des seules écoles spécialisées dans la scolarisation des enfants autistes de tout le pays.
Il y a très peu de place dans l’école, et aucun professionnel ne peut confirmer l’autisme de Malik. Une psychologue algérienne est catégorique avec la famille « si vous avez la possibilité de partir, n’hésitez pas ».
« Le handicap n’est pas une priorité en Algérie » Asma Beldjilali, psychologue
Asma Beldjilali travaille à Oran et prend en charge des enfants autistes depuis dix ans. Elle est la seule psychologue du pays formée à la prise en charge de l’autisme. Selon elle, il est « très difficile de scolariser son enfant autiste dans une école en Algérie… et ne parlons même pas du collège ! ». Quand un directeur d’école accepte d’intégrer un enfant autiste au sein d’une classe, on peut être sûr que « rien n’est mis en place pour inclure cet enfant, il n’y a pas de programme adapté, de suivi particulier ».
Alors que font les familles ? « Les parents les plus aisés pourront payer des séances d’orthophonistes ou des rendez-vous avec des psychologues et des pédopsychiatres à leurs enfants, mais rien n’est remboursé » rappelle Asma. La question de la scolarisation des enfants autistes ne fait donc pas l’objet d’une politique publique du gouvernement algérien, qui a pourtant annoncé « un plan autisme en 2013, mais on a rien vu depuis… » déplore la psychologue.Alors qu’en est-il pour la grande majorité des enfants issus de familles modestes ?
« Beaucoup sont placés dans des centre psychiatriques, mélangés avec tous les malades mentaux, les autres restent avec les mères à la maison ».
Les familles d’enfants autistes sont donc livrées à elles-mêmes en Algérie. En attendant une intervention étatique pour organiser la scolarisation de leurs enfants, elles se débrouillent et s’entraident pour vivre avec l’autisme au quotidien.
Mais selon Asma, il faut être patient car « le handicap n’est pas une priorité en Algérie ».Parmi toutes les familles algériennes touchées par la question de l’autisme, certaines, plus privilégiées que d’autres, ont la possibilité de partir à l’étranger, en France ou au Canada, pour offrir une meilleure en prise en charge à leur enfant.
C’est le cas de Mia et sa famille qui décident donc de quitter l’Algérie pour rejoindre la France. La famille rencontre des professionnels à Toulouse, et le diagnostic est confirmé au bout de 7 mois : Malik est atteint de troubles autistiques. Une reconnaissance officielle de l’autisme de Malik est une première « victoire » puisqu’elle facilite les démarches auprès de l’administration, mais ce n’est que le début d’un long et difficile parcours pour prendre en charge Malik et le scolariser.
Arrivée à Marseille, Mia se renseigne auprès des associations pour recevoir des conseils.
Elle rencontre alors Alix, la bénévole de Soliane la boucle est bouclée (voir Article « Autisme à l’école — Part 1), le combat des mères pour leur enfant autiste n’a pas de frontière. Mia arrête de travailler et consacre son quotidien à la prise en charge de Malik. Elle lance les démarches administratives auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour scolariser son fils.
« A l’école, tout le monde le connait » Mia, mère de Malik
Après quelques mois, Malik est scolarisé à l’école maternelle du quartier.Une auxiliaire de vie scolaire (AVS) l’accompagne 10 heures par semaine et permet l’inclusion progressive de Malik dans la classe : il apprend à suivre des cours en groupe, et les autres enfants apprennent à communiquer avec lui, « à l’école, tout le monde le connait » résume Mia. Selon elle, la scolarisation de Malik dépend beaucoup de l’AVS, la personne qui l’accompagne durant ses heures de cours. Elle déplore que cette profession soit aussi précaire et instable, puisque les AVS se succèdent les unes après les autres, certaines découvrent même le handicap avec Malik et ne sont pas formées à ce genre de situation.
Mais la prise en charge en France reste très bien organisée aux yeux de Mia, qui a vu la solitude des parents algériens, mal informés et peu conseillés. Mia se sent donc constamment redevable, elle remercie l’AVS tous les jours après l’école pour s’être occupé de son fils, elle se considère comme privilégiée, a le sentiment d’être chanceuse. Alix, bénévole chez Soliane, la persuade : « c’est le droit de ton enfant d’être scolarisé en milieu ordinaire, c’est normal ! ». Après quelques années passées à l’école maternelle, s’est posée la question de la suite de la scolarisation de Malik. Deux options se présentaient à la famille, soit une scolarisation en milieu ordinaire par le biais d’une ULIS, soit une prise en charge en IME (Institut médico-social).
« La prise en charge d’un enfant autiste est un long chemin, il n’y a pas de réponse rapide et sur-mesure » Alix, bénévole à Soliane
La famille est donc en peine hésitation, d’autant plus que d’autres options se présentent à eux. Beaucoup de parents leur parlent d’une possible scolarisation en Belgique, où les places sont plus nombreuses. Ils envisagent alors un nouveau départ, après avoir quitté l’Algérie. Mais comme tout enfant, Malik a aussi besoin de stabilité et cette course à la meilleure prise en charge a ses limites. D’autant plus que, comme le rappelle Alix, « la prise en charge d’un enfant autiste est un long chemin, il n’y a pas de réponse rapide et sur-mesure pour son enfant ».
Finalement, Malik se voit attribuer une place en Institut médico- éducatif (IME) à Marseille et la famille décide de rester. Ils parviennent même à trouver un juste milieu en aménageant l’emploi du temps de Malik : il passera la moitié de sa semaine à l’IME, avec trois autres enfants autistes à réaliser des activités personnalisées, et l’autre moitié à l’école avec ses camarades de classe.Maintenant que Malik est scolarisé et pris en charge par des professionnels au quotidien, Mia peut s’arrêter et prendre du recul sur ces dernières années. « J’ai envie de reprendre une vie normale, de penser à moi, de faire du sport, de trouver un travail… ».
Le combat de parent d’un enfant autiste est un combat à plein temps, qui use et pousse à la recherche constante d’une meilleure situation pour son enfant. Les parents sont engagés dans une quête interminable pour la meilleure prise en charge de leur enfant, ils vivent avec une pression quotidienne qui les pousse à se dire qu’ils ne font pas assez pour leur enfant… alors qu’ils y consacrent leur quotidien.
Après plusieurs années de combat, Mia se dit « qu’il n’y a pas de modèle idéal de prise en charge d’un enfant autiste ». D’abord parce que l’autisme s’exprime de manière différente d’un enfant à l’autre, que chaque enfant est singulier, mais également parce que « les parents sont différents, ont des manières différentes de voir les choses, et ne veulent pas la même prise en charge pour leur enfant ».Désormais, Mia va essayer de prendre du temps pour elle, pour « parler d’autre chose, penser à autre chose »… mais elle compte aussi rendre la pareille et faire du bénévolat chez Soliane, pour aider comme on l’a aidé, et d’une certaine manière garder un pied dans ce monde de solidarité et d’entraide.