Rarement au cœur du débat public, la question de la réglementation du cannabis en France revient parfois à la Une des journaux et des discours politiques. Elle mérite pourtant d’être posée de manière globale.
La France est championne d’Europe chez les jeunes de 17 ans en terme d’expérimentation du cannabis et d’usage régulier. Elle compte 14 millions d’usagers occasionnels. Pourtant, la loi sur les stupéfiants de 1970 est l’une des plus strictes en Europe. Elle repose sur trois principes : l’interdiction de l’usage, l’orientation de l’usager selon sa personnalité et son profil vers une réponse pénale d’ordre sanitaire ou pédagogique et la répression du trafic et des profits à tout niveaux.
Pour la sociologue Claire Duport, cela prouve que l’on se trompe en prônant la répression. «La loi du 31 décembre 1970 sur la répression des stupéfiants criminalise indistinctement l’usage, la détention, la vente, l’exportation, l’importation, la cession des produits classés comme stupéfiants par la convention internationale de 1961 et 1969. Cela signifie que la France est l’un des seuls pays en Europe qui ne fait aucune distinction entre la quantité ou le type de produit. Cette loi fait à peine deux pages et contient un seul article qui dit en cinq lignes : «Sont pénalisés, d’amende et de prison : l’usage et la vente de stupéfiants». Terminé. Nous voulons aujourd’hui que la loi de 1970 soit revue afin de construire un autre cadre légal aux drogues.»
Philippe Pujol, journaliste marseillais récompensé du prix Albert Londres pour son travail sur les trafics de drogues dans les quartiers nord, pense lui que le changement est d’ores et déjà en cours, hors du cadre politique. «La légalisation est inéluctable. Elle est d’ailleurs en train de se mettre en place par la voie médicale.» Karine Bartolo, psychiatre et addictologue, signataire de l’appel des 150 personnalités marseillaises pour une légalisation contrôlée du cannabis va dans ce sens. Pour elle, l’Etat doit pouvoir contrôler le cannabis vendu en France, et notamment les taux de concentration en THC pour sortir du «cercle infernal» de la consommation, notamment chez les jeunes. Elle rappelle que consommé avant 15 ans, le cannabis peut avoir de graves conséquences sur le développement du système nerveux.
Les citoyens, consommateurs, au coeur du débat
Côté politique, les propositions des onze candidats à l’élection présidentielle sur les drogues sont autant de visions différentes de la société. Quand Benoît Hamon, Philippe Poutou et Jean-Luc Mélenchon proposent de légaliser le cannabis, Jean Lassale et Nathalie Arthaud prônent eux une simple dépénalisation. Dans les deux cas, la consommation ne sera plus assimilée à un crime, mais dans le cas de la dépénalisation, la vente de stupéfiants est encore poursuivie. Du côté de François Fillon et d’Emmanuel Macron, pas question de revenir sur l’interdiction présente dans la loi de 1970. Tous les deux proposent néanmoins de punir l’usage de cannabis par une simple contravention. Pour Marine Le Pen, Jacques Cheminade et Nicolas Dupont-Aignan, la question ne se pose pas et l’interdiction doit perdurer. François Asselineau propose lui un référendum d’initiative populaire sur la question.
Pour Claire Duport, au-delà de cette joute politique, il est primordial d’ouvrir un débat public et de sortir du tabou : «Il y a en partie un manque de courage politique, national comme local, car ce sont les élus locaux qui seront en première ligne. L’autre frein à une réforme ce sont les citoyens eux-mêmes, alors qu’ils sont très majoritairement usagers, si je prends en compte l’ensemble des psychotropes : alcool, tabac, médicaments, cannabis. C’est la demande qui fait l’offre en matière de drogue. Il faut arrêter de traiter ce phénomène comme quelque chose qui nous est étranger. Cette sorte d’hypocrisie à l’égard des politiques existe aussi entre nous, citoyens. En amont, nous ne demandons pas de légaliser l’usage mais d’abord qu’il y ait un débat public sur la question de savoir quel cadre légal voulons-nous en matière d’usage et pour quels produits».
Le débat sur une possible légalisation du cannabis, ou de tout autre stupéfiant, implique dans tous les cas de s’interroger sur l’organisation du marché. «Légaliser ne peut pas être utilisé, tel un raccourci, comme on le fait actuellement sur la légalisation du cannabis où on omet de parler de l’ensemble de la production. Le cadre légal implique aussi de réfléchir à quelle vente, quel prix, qui va acheter, est-ce qu’on va produire nous mêmes ?», précise Claire Duport. Pour Philippe Pujol comme pour le sociologue Laurent Mucchielli, c’est un fait social global qu’il faut prendre en compte. Par exemple, il faut prévoir le manque à gagner occasionné dans certaines cités à Marseille par la mise en place d’un réseau officiel de vente de cannabis. «Pourquoi ne pas faire rentrer les réseaux dans le cadre légal ou reverser une taxe issue des revenus des ventes à ces cités ? », propose Philippe Pujol. La légalisation ne réglera pas tous les problèmes liés aux trafics de drogues si elle n’est pas pensée comme un fait social qui inclut toutes les personnes concernées, revendeurs, consommateurs, professionnels de santé, et producteurs.
Définitions
La dépénalisation du cannabis :
C’est le fait d’autoriser la consommation de cannabis. Le consommateur n’est plus puni par la loi pour avoir consommé du cannabis. Mais le vendeur reste condamnable.
C’est le cas en Espagne où les consommateurs ont le droit de faire pousser des plants de cannabis en quantité limitée.
La légalisation du cannabis :
C’est le fait d’autoriser la commercialisation du cannabis. Il est par conséquent dépénalisé, et la consommation devient légale.
C’est le cas aux Pays-bas, où la vente et la consommation sont autorisées dans les coffee shop.