Nahed est Syrienne. Ingénieure dans le bâtiment, elle est aussi une militante pour la démocratie. D’abord communiste, elle prend part à la nouvelle gauche après la vague des révolutions de 1968 en Europe. Opposante au régime syrien, elle a participé aux 4èmes négociations de Genève pour la Syrie qui ont lieu du 23 février au 3 mars. Elle revient notamment sur la place de la société civile dans ces négociations.
« J’ai été une opposante toute ma vie. Pendant la révolution je me suis engagée, comme six millions de Syriens. C’était la révolution des jeunes mais nous les avons soutenus. J’ai été obligée de quitter mon pays et je suis arrivée à Paris en 2013. »
Quelle a été votre participation pendant les négociations de Genève ?
J’ai été invitée dès le début des négociations à être aux côtés de l’opposition. J’ai choisi de rester indépendante car je continue d’écrire des articles pour soutenir la démocratie en Syrie. Je fais partie de la société civile, je ne suis pas une politique. Notre rôle c’est d’augmenter la participation des femmes dans le processus de négociations. Cela me fait du bien car je travaille pour la paix dans mon pays, une paix durable. Chaque femme est experte dans un dossier. Je fais partie du dossier économique et technique car je suis ingénieure. Nous allons surveiller le cessez-le-feu avec des femmes européennes et les casques bleus.
Vu de l’intérieur, que pensez-vous de ces négociations de paix ?
C’est dommage que la communauté internationale et régionale ne pense pas aux Syriens. Notre rôle aujourd’hui c’est de dire que le peuple syrien a le droit de vivre en démocratie et en liberté. Parce qu’aujourd’hui Daech, al Nosra, le régime,… Tous les extrémistes sont au combat et le peuple syrien est au milieu.
Vous êtes-vous sentis abandonnés ?
La communauté internationale a essayé d’être avec nous, mais la Russie a utilisé son droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU sept fois. Notre problème est international car la Russie a paralysé la communauté internationale. Selon moi, il faut changer les Nations Unies car l’institution a été fondée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Il y avait à cette époque cinq vainqueurs, mais aujourd’hui la Russie n’est pas démocrate et elle a le droit de veto. J’ai senti à Genève que la communauté internationale et surtout l’Europe veulent la paix. Ils ont eux aussi payé le prix. La Syrie est un producteur de terrorisme aujourd’hui. Nous aurions du trouver une solution avant 2012. Nous payons le prix le plus dur en tant que peuple syrien. Mais nous ne sommes pas les seuls. La France, l’Italie, la Grèce… Le problème est mondial car il n’y a pas d’organisations internationales qui dirigent le monde. Avant, deux forces s’opposaient et l’équilibre entre les deux dirigeait le monde. Aujourd’hui, les États-Unis se sont retirés et ont laissé le monde dans le chaos. Les Européens sont paralysés par la Russie.
Quelle est la place des Syriens eux-mêmes dans ces négociations ?
Les Syriens sont inclus dans ces négociations. Toutes les tendances de Syriens sont représentées. Ils l’ont accepté dans la déclaration de Riyad en décembre 2015. Jusqu’à présent nous n’avons pas été trahis. La diaspora syrienne doit selon moi renforcer le Haut Comité des Négociations (Ndlr : principale délégation de l’opposition) créé lors de la Conférence de Riyad pour mener les négociations face au régime de Bachar al Assad. Il ne faut pas laisser les politiciens et les militaires négocier seuls à Astana (Ndlr : depuis fin décembre, la Russie et la Turquie parrainent en parallèle des discussions militaires dans la capitale du Kazakhstan). Les organisations de la société civile doivent participer.
Croyez-vous que la société civile peut avoir un réel poids dans les futures négociations ?
L’un des experts présents pour préparer le cessez-le-feu que nous avons rencontré nous l’a dit : « Nous avons participé à 80 processus de paix. Ceux qui incluaient la société civile et les femmes sont les plus durables ». Nous voulons aujourd’hui la paix durable, pas seulement un cessez-le-feu. Mon rôle dès maintenant est de travailler avec les jeunes femmes pour les intégrer et pour avoir un rôle à l’avenir. Cette génération n’acceptera pas d’être finalement écartée.
Comment vois-tu l’avenir de ton pays ?
Je crois que le virus de la liberté est entré dans la tête des jeunes syriens. Même les pro-bachar veulent vivre libres. Ceux qui sont toujours en Syrie étaient dans la rue pour la liberté. Ils restent beaucoup de démocrates là bas. La révolution a changé tout le pays. Mais le prix est très lourd. Car les extrémistes sont entrés en Syrie. Le dictateur n’a pas cessé de massacrer et la Russie de mettre son veto. Nous avons acquis dans l’exil des valeurs universelles. Nous ne pouvons pas les trahir. Je rêve d’une Syrie libre et démocrate. C’est pour cela que je participe aux négociations. Pour construire un avenir. C’est l’avenir de nos enfants. Tous les jeunes de la révolution sont mes enfants.
Contexte
Les négociations de Genève visent à mettre fin à la guerre en Syrie alors que le conflit entre le 15 mars dans sa septième année. En 2016, trois sessions de discussions se sont soldées par un échec, en raison des violences sur le terrain et de l’insistance du régime à parler de terrorisme, quand l’opposition réclamait des discussions sur une transition politique. Lors de cette 4ème session, les discussions ont essentiellement porté sur des questions d’agenda mais ont permis, selon Staffan de Mistura émissaire de l’ONU pour la Syrie, de fixer un “agenda clair” en quatre points. Le gouvernement a insisté à plusieurs reprises sur sa volonté d’ajouter la lutte contre le terrorisme aux trois autres éléments prévus par l’émissaire avant le début des négociations, à savoir la gouvernance, la Constitution, et les élections. Il a obtenu gain de cause. Les questions de stratégie contre le terrorisme seront discutées à Genève tandis que la partie opérationnelle de la lutte contre le terrorisme sera abordée à Astana.