Regard de Syrie : Dans la ville de Amouda, province de Hassaké, Qamichili. Nord-est syrien.
Kawa, 34 ans, habite à Amouda, petite ville au nord-est de la Syrie. Une région où vivent la majorité des Kurdes syriens. Il travaille pour des ONG locales comme agent de terrain auprès de « Betna souria » (notre maison est la Syrie), et d’un média local, « Shar for developpment » (ville pour le développement). Il nous raconte comment sa région transformée en un « kurdistan syrien » autonome né de la révolution et nommé Rojava (couché du soleil, ouest du Kurdistan irakien), s’est retrouvée dans l’impasse et souffre aujourd’hui de la désertion de sa jeunesse.
Kawa : « Je vis à Amouda dans la même maison que ma famille. J’étais étudiant en économie avant la révolution maintenant je travaille pour plusieurs organisations, je vais à Qamichili, chaque semaine. Notre travail avec les organisations locales est de développer et d’écrire des projets afin de faire des activités humanitaires dans notre région. On essaie d’aider le plus de jeunes possibles dans nos villes à écrire des CV pour qu’ils puissent travailler dans les ONG internationales présentes dans la région. Cette année, nous accueillons de nombreuses organisations, comme la Croix Rouge Internationale, Save the Children, Médecins du Monde. Ils emploient des habitants, et ici quand les jeunes sortent de l’université, chacun d’eux cherche à travailler pour ces organisations internationales. Je les aide et les accompagne à intégrer ces organisations.»
Dans cette région kurde, les jeunes n’ont donc pas de travail, cherchent-ils du travail sur place ou cherchent-ils à quitter le pays ?
« Ils cherchent plutôt à partir surtout depuis un an, date de la promulgation d’une loi militaire kurde pour notre région ; en dessous de 30 ans, tu dois t’engager dans l’armée kurde et effectuer un service militaire de 10 mois pour combattre l’organisation « État islamique ». Donc, ils sont nombreux à vouloir partir et pour certains à vouloir aller en Europe et travailler là-bas. Les jeunes qui restent ici font face à de nombreux problèmes, ils cherchent mais n’ont pas de travail et on a une grosse inflation. Un dollar est égal à 500 livres syriennes (7 euros), et le salaire mensuel moyen est de 30 000 livres syriennes comme avant, mais avec la dévaluation et l’inflation cela ne représente aujourd’hui que 60 dollars par mois quand avant cela représentait 600 dollars. C’est pourquoi les jeunes cherchent en priorité du travail dans les ONG internationales pour être payés en dollars et non en livres syriennes.
Concernant les emplois dans les institutions syriennes de l’État, le salaire moyen est de 100 dollars par mois, tandis que pour les ONG c’est entre 500 et 1 000 dollars par mois. Dans la région, près 1 000 jeunes travaillent pour ces organisations internationales. D’autres sont partis étudier à l’université d’Hassake, ils sont 5 000, et les autres cherchent du travail ici ou tentent de partir en Europe pour continuer leurs études ou travailler.
De plus, la guerre n’est pas bénéfique pour les cultures agricoles car les gens n’ont plus d’argent pour les entretenir, mais de petits projets sont nés à Qamichili, autour de la tradition kurde, comme le font des amis et il y a aussi notre projet « Shar for developpment » : https://www.facebook.com/SharMagazine/?hc_ref=NEWSFEED&fref=nf Nous avons vingt jeunes qui travaillent, quatre jeunes ingénieurs agricoles et trois comptables. Le projet culturel kurde concerne la langue kurde, notre histoire, et la culture de notre région. Nous avons beaucoup de projets ; par exemple, ici à Amouda, des jeunes travaillent dans les médias. Ils sont sept à travailler sur une page internet qui fait du reportage et de l’information, une minute de vidéo par jour par exemple et ils le partagent sur facebook pour donner des nouvelles de notre région. Mais finalement, la plupart des jeunes n’ont pas d’option pour leur avenir. Depuis 2012–2013, la moitié des jeunes sont partis en Allemagne et en Europe. 70% des jeunes sont partis de notre région pour aller au Kurdistan irakien, en Turquie, ou en Europe. Mais le plus grand problème concerne les jeunes femmes dans notre région, le savais-tu ?
Non je ne savais pas.
Dans la culture kurde, les jeunes hommes peuvent quitter le pays, mais les jeunes femmes doivent être mariées pour partir. La majorité reste à la maison, et ne peut même pas se déplacer à l’intérieur de la Syrie pour terminer ses études dans une autre ville comme Alep, Homs ou Lattaquié. Elles restent chez elles et attendent de pouvoir se marier, mais leur nombre est supérieur à celui des hommes, sur une population de dix, elles sont sept pour trois hommes. C’est un gros problème dans notre société.
Parce ce qu’elles ne veulent pas rester, elles veulent partir ?
Elles sont nombreuses à vouloir partir mais elles ne peuvent pas.
Oui, mais si tout le monde quitte cette région, si ces femmes partent, cela signifie qu’il n’y aura plus d’avenir pour les kurdes en Syrie ?
Oui ce n’est pas bien, tout le monde veut partir.
Mais c’est étrange, car on pensait que les Kurdes allaient vers leur autonomie en Syrie, et que leurs droits seraient enfin respectés dans cette nouvelle région baptisée Rojava ?
Nous n’avons pas de bons services, nous avons seulement six heures d’électricité par jour. Nous avons des institutions pour les citoyens de Rojava, et ce n’était le cas avant, il y a six ans mais aujourd’hui notre situation n’est pas mieux non plus. Concernant l’économie, la société, l’éducation, on a beaucoup de problèmes à gérer. Les gens ont besoin de partir un peu, de prendre un peu d’air, mais on ne peut pas aller ailleurs dans le pays pour respirer. Donc chacun est en train de chercher sur les réseaux sociaux un pays autour de la Syrie où ils pourront enfin trouver de bons services, pas de guerre, pas de combats militaires, pas de Daech, pas de voitures piégées, comme à Qamichili. Il y a sept mois, l’explosion d’une voiture a tué plus de quinze personnes, j’étais à un km de là, j’ai couru pour aller aider les pompiers kurdes. C’était très triste. Et après cet événement j’ai dit à ma famille que je partirais en Europe. Et chaque mois nous avons ce genre d’explosion dans nos villes.
Nous avons de lourdes séquelles psychologiques à force de voir des gens mourir, des enfants mourir. Depuis six mois et jusqu’à maintenant, avant de m’endormir, je revois les enfants en train de mourir dans la rue, et le sang, et les femmes pleurer dans la rue. Je pense que les personnes comme moi, travaillant depuis cinq ans comme humanitaires dans la région kurde, nous avons perdu l’espoir de voir un changement. Je pense que tous les pays de la communauté internationale font ce qu’ils veulent dans notre pays et nous ne pouvons plus rien y faire.
Seule compte la politique qu’ils décident de mener ici entre eux, leurs intérêts. Les Syriens n’ont pas de poids. Aujourd’hui, les gens peuvent seulement travailler sur de petits projets, et réanimer un peu d’espoir.
Nous ne discutons plus de politique aujourd’hui, mais uniquement de projets humanitaires, culturels, musicaux, médiatiques, et nous voulons construire quelque chose pour les jeunes dans notre région. Même les partis politiques kurdes ici ne sont pas bons. Le parti démocrate kurde (PYD) ou le LKC opposition au PYD, ils ne pensent pas aux habitants mais à leurs théories. Et les pays qui interviennent en Syrie veulent le pétrole de notre région, mais par exemple, nous n’avons pas de diesel pour nous chauffer. Et le diesel que nous utilisons pour les voitures provoque des cancers. D’après un médecin, dans la province d’Hassaké, nous aurons peut-être 40% de personnes touchées par le cancer d’ici trois ou cinq ans, ou qui auront des problèmes respiratoires. Les gens se demandent pourquoi rester. D’accord, nous avons nos maisons, nos familles, et nous n’avons pas le régime qui nous bombarde, ni Daech, mais nous n’avons pas de système de santé, pas d’éducation, pas d’espoir pour le futur. Et en cinq ans, la situation s’est dégradée et non améliorée. Avec plus de tristesse. Les jeunes qui ont migré en Europe ou ailleurs rencontrent aussi des difficultés et nombreux sont ceux qui m’ont dit que quand ils auront un passeport, ils reviendront en Syrie.
Pourquoi veulent-ils avoir un passeport et revenir en Syrie ?
Pas tous, certains d’entre eux me l’ont dit car c’est difficile d’apprendre l’allemand. D’autre,s vivant en Allemagne ou ailleurs, disent que les gens les haïssent et leur disent : « Retourne de là où tu viens, dans ton pays ».»