Emmanuel Mbolela est Congolais, il quitte la République Démocratique du Congo en 2002 et arrive en Hollande avec le statut de réfugié en 2008. Entre les deux, six ans d’errances, sept pays traversés et dans sa tête les récits de tant d’autres rencontrés sur le même chemin.
« Je suis une de ces personnes en route vers l’Europe. Comme tant d’autres migrants j’ai été dévalisé par des bandits dans le désert, j’ai dû travailler au noir à Tamanrasset (en Algérie) me cacher des mois à Alger, puis franchir clandestinement la frontière entre Algérie et Maroc, où je suis resté bloqué durant quatre longues années. Avec mes camarades, nous nous sommes battus pour nos droits. J’ai écrit ce livre pour raconter notre histoire ».
Il est rare de lire dans le détail le récit des chemins parcourus jusqu’aux portes de l’Europe raconté par ceux qui l’ont vécu. Emmanuel Mbolela entend être « la voix des sans voix » et c’est ce qui fait la force de son récit. 1538 l’a rencontré lors de son passage à Marseille au mois de février. Sur la route de l’exil il reste bloqué quatre années au Maroc. Période pendant laquelle Emmanuel Mbolela participe à la création de la première association de défense des droits des migrants, dans un pays où rien ne les protège. Il met également en place à Rabat, capitale du Maroc, un espace d’accueil pour des femmes originaires d’Afrique subsaharienne, nombreuses elles aussi à emprunter les chemins de le l’exil, et soumises à de nombreuses sévices. Cet ouvrage publié aux éditions Libertalia c’est donc aussi l’histoire d’une lutte.
Rencontre
Comme l’écrit Emmanuel Mbolela dans la préface, « Réfugié » est d’abord un témoignage « pour celles et ceux qui pourraient être contraints de suivre ce chemin ». « C’est aussi un cri en faveur des femmes, des hommes et des enfants sans voix », continue-t-il. C’est enfin une manière « d’interpeller les hommes et les femmes de bonne volonté en occident » face aux périls de ces routes et aux frontières qui se ferment alors que « l’Europe se barricade… et que les voies légales d’immigration se rétrécissent ».
Son histoire c’est au départ celle d’un étudiant né en 1973 en République Démocratique du Congo (RDC) qui s’investit dans une lutte politique non-violente lors de son passage à l’université de Mbiyi Mayi. Emprisonné et menacé, il décide finalement en 2002 de quitter son pays, sans destination précise en tête. Le Congo-Brazzaville voisin n’est pas très accueillant, le Cameroun comme le Bénin n’ont pas de structures suffisantes lui permettant de demander l’asile. Il s’arrête un temps au Mali, pensant patienter là le temps de la transition démocratique dans son pays. Las, il prend la décision de rejoindre l’Europe en passant par l’Algérie. Mais son séjour là-bas lui fait perdre ses dernières illusions. Maltraité par la police algérienne, il passe clandestinement la frontière avec le Maroc où il se retrouve bloqué durant quatre ans, ayant fait la promesse à sa mère de ne pas tenter la traversée par bateau.
Bloqué dans un «Ghetto », en attendant une régularisation ou un droit de passage en Europe. Sans droit au travail, ni accès aux biens matériels, sa volonté de lutter pour ses droits refait surface. Il fonde la première organisation de défense des droits des migrants, l’Arcom, Association des réfugiés et demandeurs d’asile congolais au Maroc. Les autres communautés suivent et lancent ainsi une dynamique de lutte. Aujourd’hui, une plateforme regroupe les différentes associations de migrants portant leurs revendications lors de manifestations. Une procédure de régularisation a été mise en place dans le royaume avec plus de 20 000 demandes. La 2ème phase est en cours. L’occasion pour lui de revenir sur une idée reçue : « On parle de centaines de milliers de migrants aux portes de l’Europe, mais c’est faux. On quitte d’abord son pays pour rejoindre le pays voisin. Il faut avoir physiquement et financièrement les moyens de se lancer dans un si long chemin ».
Sur les routes de l’exil, il croise souvent des femmes. Elles semblent parfois invisibles dans les récits de migration. Pourtant de plus en plus présentes selon Emmanuel Mbolela, elles sont aussi victimes de bien des barbaries, et deviennent des monnaies d’échange vivantes avec lesquelles on paye par exemple un droit de passage à une frontière. Lire notamment le passage sur le sort réservé aux Nigérianes à Tamanrasset en Algérie, véritable lieu de prostitution. C’est pour elles qu’Emmanuel Mbolela décide de revenir au Maroc une fois son statut de réfugié délivré par le HCR et son installation en Hollande actée. Il organise à Rabat un appartement, puis trois, au vu de la demande toujours croissante. Des lieux de vie où les femmes peuvent se reposer pendant deux mois avant de reprendre la route. Un repos nécessaire dont lui-même a pu par exemple bénéficier au Mali durant son exil. L’occasion de recréer un « baobab » ; là où l’on s’organise, où l’on discute. A travers ce livre, l’auteur souhaite interpeller sur la situation de ces femmes. Il demande également de l’aide pour continuer à mettre à leur disposition des lieux où reprendre des forces.
Emmanuel Mbolela espère enfin que son témoignage servira de catalyseur face aux idées reçues qui prêtent souvent aux migrants le visage de horde d’envahisseur. Lui nous interroge : « Pourquoi quitte-t-on son pays ? Pourquoi est-ce si généralisé partout en Afrique ? » On assiste selon lui à un appauvrissement de l’Afrique. Ajoutés à cela les guerres et les dictatures, et les jeunes prennent souvent la route « à la recherche de leur vie ». Aussi longtemps que ces questions ne seront pas réglées les chemins de l’exil resteront peuplés.