Omar Youssef Souleimane est un poète et journaliste syrien arrivé en France en mars 2012. Dans son dernier recueil il partage le spleen de l’exilé, l’équilibre toujours fragile entre le pays que l’on a quitté et celui qui vous a accueilli. En toile de fond, les souvenirs d’une réalité perdue et l’espoir de retourner dans un pays qui ne vous appartient plus tout à fait. Nous lui donnons la parole, celle d’un artiste qui pose sur l’exil d’autres mots, moins froids, moins factuels. Omar écrit en arabe, « Loin de Damas » est un ouvrage bilingue en arabe et en français traduit par Salah Al Hamdani et Isabelle Lagny et publié aux éditions Le Temps des Cerises.
Le peuple de l’entre deux, II (extrait)
« Dans le matin gris, nous cheminons sur les fils électriques
Nos membres sont écartelés entre deux langues
Celles du pays de l’exil et celle de notre patrie exilée
Entre les dents de l’obscurité et les fruits de la lumière
Entre les noces de l’enfer et le blé noir
Nous le peuple de l’entre-deux
Nous consommons des conversations
Comme des enfants gâtés qui voulons goûter tous les fruits à la fois
Nos poèmes sont inachevés
Notre mort est suspendue
Notre chaos, bien rangé
(…)
Loin de Damas
“Le recueil est né d’une rencontre. J’aime que chaque ouvrage soit une nouvelle expérience, et pas seulement un livre.
Cette fois, ce fut avec le poète irakien Salah al Hamdani. Lui est en France depuis 40 ans. Mais la situation qu’il a vécue en Irak puis à son arrivée en France est similaire à la mienne aujourd’hui. Et le constat est amer : malheureusement rien n’a changé au Moyen-Orient depuis 40 ans. Toujours cette guerre. Depuis des années nous avons le choix entre la dictature ou la guerre.
Un dialogue s’est donc noué entre nous. Nous avons monté une pièce de théâtre : « De Bagdad à Damas, dialogues entre mémoires exilées ». Puis, nous avons commencé la traduction des poèmes que j’avais écrits entre 2015 et 2016. Nous nous voyions tous les jours avec lui et sa compagne Isabelle Lagny. Nous échangions.”
« Qu’écriront les hommes maudits ? » (extrait)
L’exilé est une lune brisée
Une montagne immergée par la rosée matinale
Combien emportes-tu d’agonie dans ta gorge ?
Nous qui sommes issus des veines de la civilisation
Nous avons arraché les nuits aux prisons
En nous, frémissent des milliers de vie
La poésie
“Dans ma famille, la langue arabe est au centre de nos vies. Petits, nous devions apprendre des poèmes anciens et le Coran par cœur. En grandissant, je me suis rendu compte que la seule manière de raconter ce que je ressens passe par la poésie. J’étais un enfant solitaire qui s’exprimait peu. La poésie n’est pas un choix, elle s’est imposée à moi. Tout écrivain, artiste, et surtout, tout poète, ne choisit pas.”
Le peuple de l’entre-deux — III
Rosée sur les blessures issues d’une grenade
dégoupillée par un enfant
Rosée issue des larmes de l’enfer
qui envahit le paradis et lévite
au-dessus des cadavres de l’alphabet
Le jeune homme est dans le jardin de l’exil
et son pays éphémère émerge de lui
comme une voix qui proviendrait d’un puits
Le cœur de l’exilé est un trou noir
colonisé par les lumières du monde
Un vide qui précède l’imminence
d’une explosion massive
Exil
“L’exil n’est pas relatif à un lieu, mais bien plus à l’intérieur de soi. Certains sont exilés dans leur propre pays. C’est une valeur universelle, qui peut parler à chacun. Quand on partage l’exil avec les autres, quelque soit leur nationalité, on sent que c’est un pays à part entière.
Pouvoir partager mes textes avec tout le monde, c’est une manière de faire vivre le texte. Sans cela, il ne vit pas. En France, je sens que j’ai besoin de partager encore plus qu’avant. Je subis un exil depuis quatre ans et demi. Ces poèmes sont des ponts entre moi et les autres, quelque soit leur nationalité, pour montrer que j’existe. Depuis que j’ai quitté la Syrie, j’essaye de trouver mon propre pays, ma langue, mes textes. Je n’écris pas pour le plaisir, c’est un besoin, pour ne pas devenir fou.”
Sur une terre étrangère (extrait)
Arrivés chez les veilleurs du néant
nous avons dit adieu à la guerre
adieu aux portes de la ville
et nous y avons laissé en consigne
nos valises chargées de ruines
Voici des oripeaux colorés par l’aurore
et par des larmes de joie
Nous avons traversé avec eux des ponts désolés
les coquilles de nos mots ballotées dans les poches
(…)
Mémoire
“Ma vie a beaucoup changé. En France, je vis dans ma mémoire. Je revois la maison de mon enfance, mon quartier à Homs. Si j’y retournais aujourd’hui, ma ville, ma chambre, mes souvenirs, tout ça n’existerait plus. J’écris aujourd’hui sur un lieu qui n’existe plus, si ce n’est dans ma mémoire. Je reviens à celle de mon enfance, c’est elle qui me conduit et me nourrit.”
La dernière scène (extrait)
(…)
Dans le métal de la nuit
l’odeur de la poudre
et le souffle de ma mère
ont envahi ma bouche
Ne me fouille pas, veilleur
J’ai dans ma poche une vie poignardée
et dans la tête l’image de la mort des miens
ainsi qu’une enfance en contrebande
dans les miroirs
Mes instants sont comme ce libre blanc
au fond d’un sac
d’une mémoire trouée
Enfance
“Lors d’un exil, l’enfance nous conduit beaucoup. Quelque soit le sujet sur lequel j’écris, il se rapporte toujours à l’enfance. Le poète est un enfant de sa naissance à sa mort. Aujourd’hui, spécialement en occident, on nous oblige à travailler comme des machines. Puiser dans son enfance nous permet de revenir au naturel et à la création. Les enfants sont les plus créatifs finalement.”
France
“Je suis surpris de la réaction des Français que je rencontre sur ma poésie. Ils sont tristes pour la Syrie. Il y a une forme de nostalgie. Cela doit être dû aux liens entre nos deux pays et à l’époque du mandat. De nombreux Français connaissent la Syrie. Je suis content de ces retours, ils diminuent la dureté de l’exil.
Mais dans le même temps, je trouve que la politique française n’est pas à la hauteur de son peuple. La France vend des armes à l’Arabie Saoudite. Elle a toujours su que ces armes finiraient par servir à tuer des civils en Syrie. Mais elle a fait passer le profit avant tout. Marine Le Pen a déclaré que les Syriens n’étaient pas courageux de quitter leur pays, faisant la comparaison avec la France pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est incorrect de comparer la situation en Syrie à celle de la France à cette période. Si la Syrie se battait contre une puissance étrangère, oui je serais resté. Mais il est plus juste de faire le parallèle avec l’Espagne de Franco, où un dictateur tire sur son propre peuple. J’avais deux choix là-bas : soit je devenais un tueur, tueur de mon propre peuple, soit je partais.”
Le retour
“Pour moi, la Syrie n’existe plus malheureusement. Il y a plusieurs Syrie aujourd’hui ; celle du régime, celle des islamistes. Le plus dur n’est pas d’envisager un éventuel retour. Je sais que j’y retournerai. C’est surtout la peur d’être toujours un exilé, même là-bas. Les gens ont changé. Ma famille va retrouver une autre personne, et moi aussi. Je suis en train de demander la nationalité française, c’est le pays qui m’a sauvé, il m’a donné ma liberté. J’ai appris sa langue, il fait à présent partie de moi. Mais je sais que je resterai toujours un étranger.”
Où sommes nous ?
A présent je vais recréer le monde
Que l’aube inonde mes écrits sur l’attente !
Où sommes-nous ?
Non, nous ne sommes pas perdus
Pendant que Damas somnambule
se promène dans les yeux des chauves-souris
le tyran nous poursuit jusqu’au cauchemar du cercueil
Et voilà que je me défais du loup qui sommeille en moi
et dégaine la clé de mon avenir
A présent, il n’y a plus que l’aube
et l’aube est ta bouche
Et après ?
“Lors d’une résidence à La Chartreuse à Avignon, Omar s’est lancé dans l’écriture d’un roman autobiographique Le Petit terroriste qui raconte la vie d’un adolescent syrien en Arabie Saoudite au moment du 11 septembre. Il y est question de religion et de migration. Le roman sera publié en septembre 2017, aux éditions Flammarion. Le 19 mars, à l’occasion du Printemps des poètes, il présentera « Damas une ville en exil ». L’occasion aussi de marquer le 6ème anniversaire du début de la révolution syrienne, le 15 mars 2011.”