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Autour de la Méditer­ranée, les lois con­tre les vio­lences faites aux femmes sont divers­es. Cer­taines sont encore bal­bu­tiantes, dans d’autres pays, elles n’existent tout sim­ple­ment pas encore.
Mais de l’avis des spé­cial­istes, au-delà de la lég­is­la­tion, c’est la société toute entière qu’il faut impli­quer et la place de la femme dans la société qu’il faut ques­tion­ner. Des lois qui inté­grées à une poli­tique publique glob­ale avec des finance­ments pro­pres mèneront à ter­mes à une meilleure pro­tec­tion des vic­times.

Pour un tour d’hori­zon des lég­is­la­tions actuelles con­tre les vio­lences faites aux femmes en Méditer­ranée, cliquez sur l’im­age.

Au Liban, un décret est en passe d’être abrogé. En France, c’est le délai de pre­scrip­tion des vio­ls sur mineurs qui a été allongé. En Turquie, la société civile a lut­té con­tre une propo­si­tion de loi visant à per­me­t­tre à un vio­leur d’épouser sa vic­time et d’ainsi échap­per aux pour­suites. Au Maroc, un pro­jet de loi, en pré­pa­ra­tion, per­me­t­trait pour la pre­mière fois de pour­suiv­re les con­joints vio­lents. Partout en Méditer­ranée, les lois con­tre les vio­lences faites aux femmes évolu­ent. Sou­vent le pre­mier pas vers un sys­tème plus pro­tecteur pour les vic­times : « Le rôle de la loi est de pos­er des bornes à la société. Un rôle péd­a­gogique pour met­tre en lumières les prob­lèmes et dire : il y a encore des efforts à faire », explique Ernes­tine Ron­ai, co-auteure d’un avis « pour une juste con­damna­tion socié­tale et judi­ci­aire du viol et autres agres­sions sex­uelles » ren­du pub­lic en France le 5 octo­bre 2016.

Sym­bole des change­ments en cours dans les sociétés méditer­ranéennes, en Tunisie, un pro­jet de loi organique « relatif à l’élimination de la vio­lence con­tre les femmes » est à l’étude au Par­lement depuis le 8 mars dernier. Une occa­sion de pro­téger les vic­times de vio­lences domes­tiques et de punir les agresseurs. Ce serait une pre­mière dans le pays. Les asso­ci­a­tions de la société civile ont été con­sultées. Pour Roth­na Begum spé­cial­iste des ques­tions de droit des femmes dans la région Moyen-Ori­ent, Afrique du nord auprès de Human Right Watch, « tra­vailler en con­corde avec les asso­ci­a­tions en charge des ques­tions de vio­lence au quo­ti­di­en est un gage de réus­site pour la future loi ». Un souf­fle sim­i­laire tra­verse le Liban, le Kur­dis­tan irakien, Israël et dans une moin­dre mesure l’Algérie. Mais il reste encore incom­plet pour Roth­na Begum. Dans ces rap­ports, Human Right Watch souligne régulière­ment les amélio­ra­tions à effectuer dans les lois nationales con­cer­nant la lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes. Ces recom­man­da­tions reposent sur trois piliers fon­da­men­taux : « la pour­suite des agresseurs, la pro­tec­tion des vic­times et la préven­tion ».

Selon un rap­port de l’OMS, la vio­lence à laque­lle les femmes risquent le plus d’être exposées est celle exer­cée par des parte­naires intimes mas­culins ou des per­son­nes qu’elles con­nais­sent, sou­vent sur de longues péri­odes. « Les atti­tudes qui pré­domi­nent dans de nom­breuses sociétés con­tribuent à jus­ti­fi­er, tolér­er ou excuser la vio­lence à l’égard des femmes, en reje­tant sou­vent sur les femmes la respon­s­abil­ité de la vio­lence qu’elles subis­sent. Ces atti­tudes s’enracinent sou­vent dans les croy­ances tra­di­tion­nelles qui con­sid­èrent les femmes inféodées aux hommes ou qui don­nent aux hommes le droit d’user de vio­lence pour con­trôler les femmes ». His­torique­ment, le Code Napoléon du 21 mars 1804 a longtemps été la valeur étalon dans la région, insti­tu­ant l’incapacité juridique de la femme mar­iée. La femme con­sid­érée comme mineur était entière­ment sous la tutelle de ses par­ents, puis de son époux. Si les codes civils ont depuis été amendés, l’égalité homme femme est par­fois loin d’être une réal­ité. Per­me­t­tant encore aujourd’hui de jus­ti­fi­er cer­taines vio­lences domes­tiques. « Le Code civ­il napoléonien de 1804 a eu incon­testable­ment les con­séquences les plus néfastes sur le statut de la femme », écrit Georges Saad, maître de con­férences en droit pub­lic à l’Université libanaise dans une con­tri­bu­tion pronon­cée lors d’un col­loque de la fac­ulté de droit de Greno­ble. L’ar­ti­cle 213 du Code civ­il pré­cise que « le mari doit pro­tec­tion à sa femme, la femme obéis­sance à son mari ». Tout au long du 19è siè­cle, ce Code a en France con­finé la femme dans un statut de mineure. Ce statut de supéri­or­ité de l’homme sur la femme jus­ti­fie bien sou­vent les vio­lences com­mis­es à l’égard des femmes, notam­ment les vio­lences domes­tiques.

En Algérie, le code pénal prévoit encore que les pour­suites peu­vent être aban­don­nées en cas de par­don accordé à l’agresseur. « Les vic­times sont donc soumis­es à de fortes pres­sions au sein même de leurs familles pour par­don­ner et éviter le scan­dale », explique Roth­na Begum. Une mod­i­fi­ca­tion de la loi per­me­t­trait de faire baiss­er la pres­sion qui pèse sur les femmes. D’autant que les vio­lences domes­tiques béné­fi­cient encore large­ment de l’acceptation de la pop­u­la­tion. Dans une émis­sion télévisée dif­fusée sur la chaine Enna­har, la ques­tion est ain­si posée : « Frap­periez-vous votre femme ? ». Et les répons­es se passent de com­men­taire sur le chemin qu’il reste à par­courir : « Oui, je la frap­perais nor­mal, pas trop fort », dit l’un, « ça fait plaisir », assume une autre.

En France, la loi a beau être une des meilleures d’Europe, il existe encore un écart entre le nom­bre de plaintes déposées, et le nom­bre de con­damna­tions. Selon Ernes­tine Ron­ai, cela n’incite pas les vic­times à pass­er le pas. La rai­son se trou­ve peut être dans les con­di­tions d’application de la loi qui prévoit encore que c’est à la vic­time de prou­ver la con­trainte, la men­ace ou la vio­lence de l’agression. Sur ces ques­tions, il paraît donc sim­pliste d’opposer une Europe pro­tec­trice à une région Moyen-Ori­ent et Afrique du nord en retard. En Europe, c’est la con­ven­tion d’Istanbul du Con­seil de l’Europe qui sert de référent cadre con­cer­nant la préven­tion et la lutte con­tre la vio­lence à l’égard des femmes et la vio­lence domes­tique. Entrée en vigueur en 2014, elle n’a pour­tant pas encore été rat­i­fiée par tous les pays, notam­ment en Croat­ie, à Chypre ou en Grèce. Voir carte de la Ligue des Droits de l’Homme.

En marge des lég­is­la­tions, la diminu­tion des vio­lences faites aux femmes et une prise de con­science de ces dernières passent sou­vent par des poli­tiques glob­ales et un finance­ment con­séquent, afin par exem­ple de met­tre en place des cen­tres d’accueil. Sou­vent dépen­dantes finan­cière­ment de leur bour­reau, les femmes vic­times de vio­lence n’ont nul part où aller. En Algérie, il existe seule­ment trois cen­tres gou­verne­men­taux d’accueil de vic­times de vio­lences domes­tiques. C’est très peu au regard des stan­dards inter­na­tionaux et de la pop­u­la­tion algéri­enne. Au Maroc, il n’y a tout sim­ple­ment pas, et les asso­ci­a­tions sont peu sub­ven­tion­nées. En Espagne, les mou­ve­ments fémin­istes récla­ment plus de moyens pour met­tre en place des pro­grammes de préven­tion dans les écoles et les uni­ver­sités.

Viol sur mineur, les législateurs mobilisés

Selon une enquête de l’Unicef ren­due publique en 2014, une femme sur cinq et un homme sur qua­torze déclar­ent avoir déjà subi des vio­lences sex­uelles. Dans 81% des cas, les vic­times sont des mineurs. En France, selon les chiffres de l’enquête Virages réal­isée en 2015, 40% de celles ayant subi un viol ou des ten­ta­tives de viol les ont vécus pen­dant l’enfance (avant 15 ans), ou l’adolescence (entre 15 et 17 ans).

Face à l’ampleur du phénomène, l’avis du Haut Con­seil à l’égalité entre les femmes et les hommes insiste donc par­ti­c­ulière­ment sur les vio­lences envers les mineurs et demande l’allongement de la durée de la pre­scrip­tion du fait du délai par­fois long entre la prise de con­science de l’acte et la volon­té de porter plainte. Dans le même sens, la jus­tice doit pou­voir con­serv­er les preuves de l’agression, sans dépôt de plainte pour per­me­t­tre aux vic­times de porter plainte plus tard, quand elles sont prêtes.

Ailleurs en Méditer­ranée, le tabou est pro­gres­sive­ment levé. En Turquie, la lev­ée de boucli­er con­tre la propo­si­tion du gou­verne­ment de ren­dre pos­si­ble l’abandon de pour­suite con­tre un vio­leur qui épouserait sa vic­time mineure a stop­pé net son avancée. En Tunisie, la loi à l’étude au Par­lement inter­vient alors que l’article 227 bis du code pénal a été révo­qué au mois de mars. Une révi­sion inter­v­enue à la suite d’une affaire qui a mar­qué les Tunisiens à la fin de l’année dernière : un juge avait en effet décidé qu’une enfant de 13 ans serait mar­iée à un homme de 20 ans qui l’avait mise enceinte.

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